Avec un premier album aux architectures gazeuses et aux rêves solides, Air (de jeux) relève la tête de la variété française, rarement aussi bien caressée depuis Polnareff. Evacuons tout d’abord les formules d’usage : oui, Moon safari est léger et libre comme l’air, possède un air qui nous revient, va créer un courant d’air bienfaiteur, […]
Avec un premier album aux architectures gazeuses et aux rêves solides, Air (de jeux) relève la tête de la variété française, rarement aussi bien caressée depuis Polnareff.
Evacuons tout d’abord les formules d’usage : oui, Moon safari est léger et libre comme l’air, possède un air qui nous revient, va créer un courant d’air bienfaiteur, voire faire fléchir l’air du temps. Non, Moon safari n’a pas l’air de rien, ne sent pas l’air vicié, ne manque pas d’air, ne parle pas en l’air, n’a pas l’air faux. Car s’il ne fiche pas tout en l’air Moon safari a des parents, recensés par centaines , ce premier album offre à la musique d’ici une occasion devenue rare de s’envoyer en l’air. Très haut et très loin, avec loopings, vols piqués, feuilles mortes puisque ce groupe semble tout ignorer du rase-mottes. Pas un hasard s’il chantait récemment Le Soleil est près de moi, lui qui reprenait précisément les choses en l'(excellent) état dans lequel Gainsbourg les avait laissées à l’époque d’un titre faux-jumeau : Sous le soleil exactement (les orchestrations étaient alors signées Michel Colombier,
auquel on pense énormément chez Air). On sait que la moitié d’Air a failli devenir architecte, pendant que l’autre était devenue mathématicienne : lettré (on entend plein de soupçons de disques adorés dans Moon safari), Air est donc également chiffré. Ça tombe bien : on a toujours trouvé les mathématiques incroyablement poétiques et contrairement à ce que disait un âne (« Ecrire sur la musique, c’est comme danser sur de l’architecture »), on peut se trémousser très langoureusement sur ces constructions savantes, passant sans le moindre état d’âme du design le plus sophistiqué au baroque le plus biscornu, du mobilier épuré des boutiques chic de la Rive gauche aux sons précieux et exubérants de Left Banke. Car issu d’un peuple qui a beaucoup souffert des cloisons, Air aime regarder sous les portes, sous les jupes, sous les frontières. Pas étonnant, alors, que le groupe ait trouvé sa voie en fréquentant les Anglais de Mo’Wax, en y découvrant Money Mark et sa liberté élastique. Que Air soit promis à un avenir radieux en Angleterre est déjà une cause entendue, classée. Un triomphe logique : Londres se contente d’applaudir le retour au pays de joyaux royaux prêtés à la France dans les années 60 de John Barry à George Martin. Des bijoux alors portés avec panache par la variété Nino Ferrer, qui fricotait avec Mickey Finn, et Gainsbourg, qui enregistra L’Homme à la tête de chou à Londres , inaugurèrent dès les sixties le tunnel sous la Manche puis longtemps remisés dans un coffre de banque dont plus personne n’avait les clés. Des parures que certains margoulins (Obispo en tête) prétendirent retrouver, alors qu’on voyait à l’oeil nu qu’ils ne portaient que des verroteries de brocante.
Air, contrairement à une rumeur idiote, n’est pas une paire de DJ’s mais un groupe « pop », comme « populaire ». Mais comme en France, on va plus souvent au cinéma qu’au disquaire, la culture d’Air est pleine de BO et de souvenirs de chansons douces que leur chantaient leurs mamans. Courageux d’être nostalgique des musiques de France quand on écoute les nauséeux cours de révisionnisme servis à la louche à soupe sur les télévisions : non, hors de question d’oublier les crimes de Stone & Charden, de passer l’éponge sur Michel Fugain et son assassinable Big Bazar, de réhabiliter ces ennemis du progrès qui firent, dans les années 70, plonger la musique d’ici dans une eau de rose parfumée au jus de boudin. La cour martiale pour tous ceux qui firent barrage aux audaces de Gainsbourg, pour les lâches qui foulèrent au pied les propositions de Polnareff ou Nino Ferrer. Un carnage dont on se remet à peine, grâce à des Daho, des Mitsouko capables de réconcilier la variété et l’exigence. Oublions donc ces années fâcheuses, la variété Pompidou et les chansons Fourcade, ces humiliations quotidiennes car désormais, en France, la variété ne rase plus les murs, redevient joueuse, taquine et gonflée. Pour s’en convaincre, on empruntera le raccourci spatiotemporel de Remember, collaboration logique entre Air et le vétéran Jean-Jacques Perrey, témoin de cette époque où, en France, musique rimait avec risque. C’est là, entre Buggles et Bacharach, entre bijoux fantaisie et cristal, que Godin et Dunckel trouvent le meilleur équilibre : sur ce Sexy boy pour lequel on se lèverait la nuit, sur La Femme d’argent aux gestes lascifs et indécents, sur Ce matin-là qui servira désormais de BO à l’ami Ricoré… L’équilibre est instable, l’édifice ne tenant qu’à un fil : il suffit ainsi qu’Air devienne sage, raisonnable (All I need) pour que ses architectures ressemblent à des bungalows : plats, standards, impersonnels. Ça n’arrive pas souvent et c’est justement dans ces moments de relâchement, quand on commence à manquer d’Air, que l’on se rend compte à quel point l’art de Godin et Dunckel est indocile, ingrat, complexe : une alchimie passionnante qui transforme l’or en Air.
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