En colère contre « Inquisitio », la saga de l’été de France 2, les blogueurs cathos s’étaient – pour une fois – lancés dans une campagne LOL. Mais la mouvance intégriste n’est jamais très loin. Et le buzz a tourné court.
L’histoire commence avec une fiction. Une fiction en 8 épisodes de 52 minutes dont seule la télé a le secret. Inquisitio, saga estivale de France 2, se passe en l’an 1370. Sale époque : une peste bien noire, deux papes en même temps, un Grand Inquisiteur, un œil en moins, quelques bûchers, tout le monde en robe de bure à grosses ficelles. Banco. 642 ans plus tard, les téléspectateurs adorent, et TF1 grince des dents devant le (récurrent) succès de sa sœur ennemie.
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Quelques jours avant, à l’ombre de la cathosphère, certains ont rigolé franchement devant la bande-annonce. A contre-courant de l’Eglise de France qui « pleure et s’indigne » devant Inquisitio, le petit monde des blogueurs cathos modérés ironise sur les approximations historiques du thriller médiéval.
Fausse bande-annonce
« La série caricature tellement l’Eglise de l’époque qu’on l’a tout de suite prise à la dérision », explique Charles Vaugirard, blogueur masqué derrière le nom de sa rue. « A un moment, il y a un cardinal qui dit ‘Les juifs ont toujours été la cible préférée des chrétiens’. Franchement, si ça c’est pas des gros sabots… » enfonce son complice Koztoujours. Tous ont tiqué en voyant Catherine de Sienne (jouée par Anne Brochet), mystique de l’Eglise dépeinte en terroriste hystéro qui innocule la peste en Avignon.
« Les auteurs de la série se cachent hypocritement derrière l’argument de la fiction, s’agace Koztoujours. Mais si c’était si simple, pourquoi mettre en scène une sainte qui a réellement existé? »
Le 3 juillet, veille de la première diffusion d’Inquisitio, la bande de blogueurs décide de faire profiter le monde de ses blagues et poste une fausse bande-annonce d’Inquisitio, « l’inquisition comme vous l’avez déjà vue mais bien quand même ».
34 000 vues plus tard, « on a découvert le phénomène du buzz ! » s’enflamme Charles Vaugirard. Sur Twitter, Inquisitio est devenu #inquisitio. Sur Facebook, les blogueurs, cachés derrière un profil baptisé Saturnin Napator depuis quelques jours, rivalisent d’humour potacho-trash en surjouant le Grand Méchant Inquisiteur et s’enthousiasment des likes engrangés.
« On a montré qu’on n’était pas ringards »
Victoire, leur « contestation joyeuse » est reprise par la presse. « Quand les catholiques jouent les victimes, personne ne les écoute », explique Natalia Trouiller aka Nystagmus.me. « Là, pour la première fois, on a montré qu’on n’était pas ringards, qu’on savait utiliser les codes de l’époque », triomphe JB Maillard alias Jesus prem’s. Surmotivés, les catho-LOL, qui jurent que leur but n’est « absolument pas de défendre l’Inquisition », ont aussi ouvert un blog, L’Inquisition pour les nuls, dans lequel ils disent « rétablir le vrai du faux » à l’aide d’historiens parfois controversés.
Jusqu’à ce que. Le 5 juillet, un jour à peine après la diffusion sur France 2, Saturnin Napator laisse un petit mot sur Facebook, puis met brutalement fin à ses jours.
Fini de rire, se lamente l’embryon de fan-club sans trop comprendre. En fait, derrière son souriant sabordage, Saturnin Napator a vraiment flippé. Car la prophétie de Christine Boutin (« les radicaux catholiques risquent de vivre ça très mal« ) s’est réalisée. Sur Twitter, sur les blogs, des comptes bien connus de la sphère intégristes ont commencé à s’agiter : les « tradis » ont regardé France 2. Sur son blog itinerarium, Vivien Hoch, catholique rallié à Vatican II après avoir grandi chez les lefebvristes, salue la fronde de « l’ami Charles de Vaugirard« . Saturnin Napator se pince le nez.
« La vraie question, c’est eux, reconnaît Charles Vaugirard. Ils nous appellent les ‘cathos mous’, et on ne veut pas être mis dans le même sac. Au bout du compte, Saturnin risquait d’être instrumentalisé ; on a préféré ne pas prendre le risque de continuer. »
Casse-tête
Défendre ses croyances sans se faire aspirer par le tourbillon des ultras ultra-médiatisés, un casse-tête pour ces blogueurs.
« On est sur une ligne de crête, soupire Charles Vaugirard. A chaque fois qu’on veut dire quelque chose, les intégristes sont déjà là. Bien évidemment, les gens ne retiennent que ça ».
Comme cette fois où un kiss-in organisé par des associations LGBT devant Notre-Dame de Paris tourne mal à cause des intégristes ; Koztoujours, pourtant d’accord sur le fond, avait senti le piège. Plus récemment, il y a eu les protestations contre la pièce Golgota Picnic de Rodrigo Garcia. « Ça a été dur de ne pas se faire assimiler à Civitas » se lamente Koztoujours. Dans certains articles, le discours de l’Eglise catholique se retrouve accolé à celui des intégristes.
Avec Saturnin Napator, les modérés se félicitent d’avoir réussi à occuper le terrain de la protestation avant que les extrêmes ne s’en mêlent. « Pas longtemps, certes. Mais je ne considère pas ça comme un échec« , sourit Natalia Trouiller. « On a réussi à sensibiliser au-delà de la cathosphère, et c’est un grand pas ». Le petit buzz est mort, vive le petit buzz.
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