Songwriter têtu au service d’obsessions tenaces, de Gainsbourg à Francis Lai, des BO aux Beach Boys, Sean O’Hagan continue d’explorer son lopin unique sur le nouveau Cold and bouncy de ses High Llamas. Une terre retournée mais aux gisements toujours généreux, aux fouilles assistées cette fois-ci par une électronique premier cri.De tous les musiciens anglais […]
Songwriter têtu au service d’obsessions tenaces, de Gainsbourg à Francis Lai, des BO aux Beach Boys, Sean O’Hagan continue d’explorer son lopin unique sur le nouveau Cold and bouncy de ses High Llamas. Une terre retournée mais aux gisements toujours généreux, aux fouilles assistées cette fois-ci par une électronique premier cri.
De tous les musiciens anglais contemporains, Sean O’Hagan est celui qui fait preuve de la plus inflexible obstination. On pourrait ne voir dans les trois derniers albums des High Llamas, dont le nouveau Cold and bouncy, que la perpétuelle remise en friche d’une idée unique. Une idée fixe et forte. Une idée droite comme un piquet, un axe inamovible autour duquel s’organise depuis maintenant cinq ans un ballet aux mouvements amples et lascifs mais chorégraphié à l’intérieur d’un périmètre exigu.
Sean O’Hagan est l’un des derniers survivants d’une espèce de farfelus dont l’obsession majeure consiste à mettre des bateaux en bouteille.
Des bateaux de plus en plus imposants à l’intérieur de bouteilles de plus en plus étroites. « Je pourrais refaire de simples chansons mélodiques comme à l’époque de Santa Barbara, des pop-songs bien calibrées, avec des guitares acoustiques dominantes, des mélodies faciles à fredonner, mais avec l’âge j’ai de moins en moins envie de ressembler à Crowded House. » Alors Sean O’Hagan creuse inlassablement son petit périmètre, certain qu’il y aura de l’or après l’effort, une source limpide en bout de course. Et il trouve. D’une simple esquisse, calquée sur les orgues mouvants et les gorges émouvantes des Beach Boys, il est ainsi parvenu à faire, défaire et refaire mille et une combinaisons chromatiques dont les spectateurs avisés apprécient la variété croissante à chaque nouvel album. Les clients épisodiques de l’établissement, eux, s’entendent au contraire pour railler le propriétaire : on reproche en vrac à Sean O’Hagan de toujours reproduire le même album, d’être génétiquement incapable de se soustraire à l’influence de saint Brian Wilson, on dit aussi qu’il Pet Sounds plus haut que son cul en gros qu’il n’est qu’un petit Salieri dévoré par l’ambition de se voir plus gros que le boeuf sacré de Californie. Pour répondre à ce genre d’accusation, si on était à la place de Sean O’Hagan, on hésiterait entre la paire de claques, le mépris ou plus constructif la distribution générale de Sonotone. Persister à n’entendre au travers les remous magnifiques de Gideon Gaye, Hawaii ou Cold and bouncy que l’écho des fameuses vagues wilsoniennes, les ultimes vibrations déconfites d’un paradis englouti aux alentours de 67, n’est ni plus ni moins qu’un de ces signes de paresse auditive qui préfigurent les surdités profondes. A l’heure du triomphe des voleurs de couleurs professionnels, O’Hagan serait plutôt du genre coloriste amateur.
Chacun des trois derniers albums des High Llamas dont la vue d’ensemble constitue un triptyque d’une cohérence absolue revêt ainsi une dominante propre : Gideon Gaye est ainsi plutôt ocre à reflets cuivrés, Hawaii propose une large gamme de jaunes lumineux et de carmins brillants tandis que Cold and bouncy évoque des nuances de bleu tirant vers l’acier. Les deux premiers albums, notamment Santa Barbara, ressemblaient plus à des palettes, à de vastes nuanciers dont O’Hagan a depuis entrepris de détailler chaque teinte, avec une patience quasi obsessionnelle, refusant de s’astreindre plus longtemps aux dosages équilibrés exigés par le marché. D’un strict format pop, il a glissé progressivement vers de longs tunnels peu adaptables aux infrastructures autoroutières des radios, tandis que les ponts suspendus de ses chansons passent depuis longtemps nettement au-dessus des couplets-refrains étriqués qui font l’ordinaire des hit-parades MTV. Sur Cold and bouncy, en plus des claviers, cordes, cuivres, banjos, marimbas et vibraphones habituels, l’électronique joue à son tour des coudes parmi les compositions labyrinthes de Sean O’Hagan. Pas de l’électronique dernier cri mais de l’électronique de brocante, récupérée dans les derniers râles d’antiques synthés Moog et autres bachi-bouzouks infernaux issus d’un temps où l’on rêvait encore à l’an 2000. Entraîné par ses amis de Stereolab dans le monde acidulé des soucoupes violettes et planètes en Formica, Sean O’Hagan n’a pourtant pas lâché le fil de son idée : « Je ne pourrai jamais renoncer aux mélodies, aux harmonies, ce serait comme me vider de mon sang. J’avais juste envie cette fois de les confronter à cette matière plutôt froide qu’est l’électronique. Dans les années 80, les synthés étaient devenus tellement uniformes qu’on avait fini par être dégoûtés des machines. Du temps de Microdisney, je n’aurais sans doute jamais pu faire ce que je fais aujourd’hui. La musique électronique actuelle, notamment la dance, a réintroduit des sons dont on avait oublié la richesse. Maintenant que cette matière est à nouveau disponible, à nous de nous en servir au mieux pour habiller nos chansons. Lorsque je discute avec les gens de Tortoise ou que j’écoute l’album de Air, je me rends compte que nous pensons et que nous composons dans le même sens : seul le canevas de base change. Le mien repose sur la recherche d’accords complexes, une obsession qui me vient des musiciens que j’écoute le plus : Michel Legrand, John Barry, Francis Lai ou Ennio Morricone. »
En Sean O’Hagan, on aura trouvé le plus atteint des fondus de BO, le plus maniaque des fans de soundtracks. De son sac de voyage, il extirpe fièrement un Morricone obscurissime dont il tient sur le champ à nous faire goûter les sucrées palpitations, les saveurs fortes et les mélanges capiteux. Autant de sensations diffuses que l’on éprouve lorsqu’on part à l’assaut des belles cascades de Cold and bouncy, album dont la plupart des reliefs resteront interdits à qui n’a pas préalablement fréquenté intimement Morricone, dont la rime avec Wilson revient avec insistance dans le vocabulaire de Sean O’Hagan. Au cours de la conversation, on remonte même jusqu’à Ellington, troisième larron et non des moindres lorsqu’on évoque l’écriture pour grande formation, lorsqu’il s’agit de confronter swing élaboré et lave mélancolique, tourments volcaniques et vertige des cimes.
Mélomanes chevronnés, Sean et son plus proche complice au sein des High Llamas, le bassiste John Fell, tiennent brillamment le crachoir tant qu’on leur jette des noms en pâture : Mingus, l’Art Ensemble Of Chicago, Kraftwerk ou Burt Bacharach, Pierre Henry ou Gainsbourg. « En Angleterre, on nous demande si on n’est pas jaloux de n’avoir pas écrit Bittersweet symphony ou des choses du même calibre. Les conversations tournent la plupart du temps en rond autour du nombril de la brit-pop », rigolent-ils, légèrement jaune. Avec Turn-on, l’album récréatif et principalement instrumental enregistré en trois jours l’an passé avec Tim Gane de Stereolab, Sean O’Hagan avait déjà posé quelques-unes des fondations de Cold and bouncy : « Ce disque m’a permis de me désinhiber face à l’électronique. Je fais partie d’une génération handicapée, beaucoup moins à l’aise avec les machines que les jeunes musiciens issus de la dance qui n’ont pas le poids de leur culture musicale sur les épaules. Nous voulions retrouver le caractère des productions krautrock qui nous obsèdent, Tim et moi. D’ailleurs, le titre Cold and bouncy est né d’une discussion où l’on essayait de décrire le krautrock. Nous sommes tombés d’accord sur ces deux adjectifs : froid et élastique. Sur Turn-on, j’ai pu tester à blanc quelques idées de boucles, fabriquer des cocktails incertains que j’ai ensuite affinés avec l’apport des autres membres du groupe pour concevoir Cold and bouncy. Cet album est le premier à avoir été autant chamboulé en route, contrairement à Hawaii dont la moindre note était déjà écrite avant d’entrer en studio. » Pourtant, comme lorsqu’il s’amuse à remixer les Boo Radleys, lorsqu’il reprend les Smiths ou compose pour Terry Hall, Sean O’Hagan ne parvient jamais sur Cold and bouncy à contrarier sa nature profonde : ses plages instrumentales langoureuses, même jonchées de borborygmes électroniques, ouvrent toujours sur de confortables horizons panoramiques, les clairières de ses mélodies ne rencontrent pas le moindre orage et les voix planent toujours autant en haute altitude, chez les lamas. Ah, au fait, l’idée fixe de Sean O’Hagan est aussi une certaine idée du beau fixe.
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