Nouvelle recrue du label de Massive Attack, Craig Armstrong ne sort que les jours de pluies de cordes, de bourrasques symphoniques. Sans imper et sans casque.On aime quand, dans notre discothèque, un inconnu vient clairement mettre une logique, quand il creuse à la main des passages secrets qu’on pensait être le seul à deviner possibles. […]
Nouvelle recrue du label de Massive Attack, Craig Armstrong ne sort que les jours de pluies de cordes, de bourrasques symphoniques. Sans imper et sans casque.
On aime quand, dans notre discothèque, un inconnu vient clairement mettre une logique, quand il creuse à la main des passages secrets qu’on pensait être le seul à deviner possibles. Longtemps, ainsi, on crut être le seul à trouver un air de famille à Massive Attack et au Blue Nile. Car si l’un l’album Blue lines était hautement autorisé par les censeurs de bon goût, l’autre le sublime Hats était régulièrement accueilli avec des ricanements entendus on osa même lui attribuer le sobriquet humiliant de « musique yuppie », prison indigne où les officiels de la culture le crucifièrent entre Chris Rea et Deacon Blue, l’horreur. Il fallait donc savoir lire : Blue lines était bel et bien une anagramme de Blue Nile. L’Ecossais Craig Armstrong enfonce le clou en reprenant ici le somptueux Let’s go out tonight, la grande chanson de Blue Nile que John Cale n’a pas été foutu de composer depuis Dying on the vine. Pas un hasard s’il a baptisé son album The Space between us, lui qui fait justement tout pour réduire les espaces entre quelques-unes des musiques les plus magnifiquement graves, du sublime Unfinished sympathy de Massive à la Troisième symphonie de Górecki, des Music for airports de Brian Eno aux envolées ténébreuses de Bernard Herrmann, de This Mortal Coil à David Sylvian. Car formé au classique, l’Ecossais se souvient aussi qu’il fut arrangeur pour tout un pan plus ou moins véreux de la soul blanche écossaise de Hipsway à Texas.
Loin des salonards et de leurs gargarismes à la Grande Musique « La bande dessinée est à la littérature ce que le rock est à l’oeuvre de Beethoven », peut-on ainsi apprendre dans une encyclopédie Larousse , Craig Armstrong appartient à cette génération, celle des Badalamenti ou des Philip Glass, pour qui l’époque n’est plus aux restrictions de temps de guerre. Armstrong, ainsi, prend fromage et dessert, passant de Madonna à l’Orchestre de chambre d’Ecosse, des musiques de films (Roméo & Juliette, Batman forever, Mission : impossible) aux concerts de U2 ou aux albums de Future Sound Of London. Et se souvient d’une époque où la luxuriance des arrangements de Scott Walker à Dionne Warwick n’était pas le pauvre cache-sexe d’une écriture pop à la traîne. Une liberté de fréquentations qui fait de The Space between us un disque aussi écartelé que remarquablement tenu en laisse, prouvant que l’on peut très bien unir sans niveler. Car du choix luxueux des voix écossaises invitées (Liz Fraser des Cocteau Twins ou Paul Buchanan de Blue Nile) aux ouragans de violons qui déchirent Weather storm ou Glasgow, partout la même rigueur et la même démesure, la même volonté d’en finir avec le symphonique demi-sel, le violon veule. Ainsi, on a parfaitement le droit de rester à la porte de ces monstres d’emphase, de ces cordes bandées jusqu’à la rupture, de ces meutes de violons à la méchanceté inouïe trop de vent pour qui aime les chansons au souffle court et chaud. Après tout, Craig Armstrong, en sortant comme ça à découvert, sans retenue, sous les balles, c’est peut-être couvert de ridicule : le prix à payer pour être sorti du rang (planplan). Mais au moins, une chose est certaine : personne n’entrera dans The Space between us en badaud, les mains dans les poches, l’oreille pendouillante. Car comme un homonyme, Craig Armstrong a marché sur la Lune : il en a ramené des symphonies de poche envisagées en apesanteur, sous un mélancolique clair de terre, loin de la lourdeur des hommes. Car L’Espace entre nous, c’est ça : la frontière qui séparera toujours les têtes brûlées, les têtes en l’air, les têtes fêlées, les entêtés des têtes gonflées, des têtes montées, des têtes à calcul, des têtes bien casquées, bien protégées.
La pire des insultes elle figure dans le dossier de presse serait alors de réduire la touche Craig Armstrong à un « label de qualité », alors qu’on sait que se faire la belle est sa plus belle qualité, d’aller voir ailleurs si ça ne serait pas moins asphyxiant, moins terne, moins lâche. De préférer systématiquement le risque au fixe. Horace Andy en 96 et maintenant Craig Armstrong ou Alpha… Pour l’instant, le label Melankolic des brillants Massive Attack ne s’est attaqué qu’à la lettre A et y a déjà déniché deux albums importants de l’année. On n’ose même pas imaginer dans quel état nos sens seront quand Melankolic en sera au Z.
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