Dominique A, Blandine Rinkel, Fishbach et Bertrand Burgalat ont accepté de nous transmettre leurs souvenirs et impressions suite à l’annonce de la mort du chanteur iconique.
Blandine Rinkel, écrivain : “Une joyeuse rumeur familiale”
“Ce qui m’a frappée au réveil, sur les réseaux sociaux, c’est moins la mort que la condescendance. Cette étrange passion pour la distinction sociale à l’heure des décès. La mort, si égalitaire par définition, attise sans doute notre soif de différence – ‘je suis au-dessus de cette tristesse populaire’ – et chacun y va de sa saillie, comme pour s’émanciper.
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J’hérite quant à moi du chagrin de mon père. Johnny était l’idole de Serge. La colère lumineuse de son adolescence. Une idée de l’affranchissement, qu’il écoutait avec ses copains de la marine. Je me souviens de fins de repas enfiévrées avec ma mère, quand j’étais haute comme un lave-vaisselle, où, pour nous faire rire, mon père (et ses 100 kg) grimpait dangereusement sur une chaise en imitant Johnny.
Ses numéros préférés, c’était Frankie et Johnny et Le Pénitencier. La période rock, la plus terrible des années 60. Serge hurlait avec une virtuosité confondante et, quand des gens étaient de passage à la maison, on pleurait de joie en le regardant.
A chaque Noël, j’ai offert à mon père un disque de Johnny, qu’il connaissait déjà par cœur”
Vers mes 10 ans, lors d’un mariage potache, Serge avait entamé sur scène son hit d’imitateur – ‘tu es à moooi, maintenant à tout ja-maaais’ – puis, mettant la main à son cœur, s’était brutalement effondré. Hurlements dans l’assistance, précipitations et palpations, jusqu’à ce qu’il ouvre les yeux en grand, rieur : ‘Vous voyez l’effet que me fait Johnny !’ L’événement deviendrait une joyeuse rumeur. Combien de légendes familiales sont ainsi peuplées des mélodies de l’idole ?
A chaque Noël, jusqu’à l’an dernier, par un mélange de manque d’imagination et de certitude de plaire, j’ai offert à mon père un disque de Johnny, qu’il connaissait déjà par cœur. Et à chaque Noël, nous l’avons écouté, moi au premier degré et demi, lui dans une joie pure. J’étais fière qu’il n’ait jamais entendu parler du Poème sur la 7e ou de Hamlet, découverts quand j’ai déménagé à Paris, c’était à moi de lui apprendre quelque chose. Je ne sais pas ce que je lui offrirai, ce Noël-ci. C’est triste et doux d’éteindre le feu.”
Dominique A, musicien : “Il tenait un truc qui cimentait”
“J’ai 16 ans, je suis à l’arrière de la voiture de mon cousin et d’un copain fermier à lui, il est 4 heures, on sort de la boîte Le Chambord près de La Gacilly ; le pote bourré roule à gauche à 140 km/h sur une route de campagne, et il a mis dans le radio-cassette Hamlet de Johnny. Les paroles sont délirantes, Johnny geint des trucs comme ‘Je suis fou comme une tomate, je ne tiens plus sur mes pattes’ sur un fond musical rock prog glauque, je n’ai jamais entendu un truc pareil et je me dis que je vais crever en écoutant ça.
Je n’ai depuis lors pas cessé de parler de ce disque aux gens que je rencontre, pour peu que l’occasion se présente, sûr à chaque fois de faire un tabac avec certaines paroles. J’en ai même envoyé un exemplaire à des musiciens américains, Damon et Naomi, on a même chanté Je suis fou sur scène avec Damon, lors d’un concert à Nantes.
Il m’a fait tellement marrer ; ça a été une sorte de contre-modèle, des types comme moi se sont construits contre le rock varièt péplum à la Johnny, ce qu’il incarnait, le son de ses disques avec toute cette armada de requins derrière lui, les solos de guitare pourris, les batteries raides comme des planches qui desservaient sa voix. Pourtant, sa mort me fout un cafard monstre. Pas comme pour Leonard Cohen, mais pas loin. Et pas parce qu’on va en bouffer pendant un lustre.
“On se dit de gauche, et on est là avec nos trucs branchouilles, si loin du cœur de la majorité des gens”
Non, mine de rien, il tenait un truc en France, un rôle social énorme, qui cimentait. Un lien, quand tant sont défaits aujourd’hui. Magyd Cherfi l’a dit avec beaucoup de justesse dans une tribune. On se dit de gauche, et on est là avec nos trucs branchouilles, si loin du cœur de la majorité des gens. Et si on n’avait rien compris ?
Quand on rigolait de ses expressions à côté de la plaque, est-ce qu’on ne se moquait pas à travers lui de ‘ceux qui parlent mal’ ? Tout ça est bien confus. Mais voilà : on a besoin comme jamais de ciment entre les gens, et là, il y a une grosse pierre qui vient de tomber.”
Bertrand Burgalat, producteur et chanteur : “Jean-Philippe Smet a sué et souffert pour nous”
“Comme avec Bardot, Delon et quelques autres monuments nationaux, parler de Johnny Hallyday en dit plus sur nous que sur lui. Souvent méprisé ou encensé pour les mauvaises raisons, ce ‘calife gitan’ (selon les mots de Marie-Dominique Lelièvre) a toujours amplifié les qualités et les défauts de ceux qu’il approchait, du meilleur (François Reichenbach) au pire (certains auteurs récents). Lucien Ginsburg se débattait dans la peau de Gainsbourg, Jean-Philippe Smet a sué et souffert pour nous dans celle de Johnny.”
Fishbach, musicienne : “Johnny, ça vend du rêve”
“Johnny, c’est un peu le grand oncle dont tu as un peu honte, parce qu’il est un peu beauf, mais tu l’adores quand même. Il continue à te chanter les berceuses que tu as dans ton ADN depuis ta plus tendre enfance. Johnny, c’est aussi un sens du show à l’américaine, il vend du rêve.
Johnny, c’est un super interprète qui a bossé avec les meilleurs. Je l’ai vu en concert une fois, à Bercy, c’était un grand moment. J’avais l’impression d’aller voir un dinosaure au musée. Il avait un tel jeu, une telle dégaine… J’adore sans adorer, quelque part. Mais la mort rend les gens beaux.”
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