Il a tout quitté pour les déserts, les montages, les grands espaces et leurs populations nomades : Kares Le Roy photographie l’inconnu et le sublime sans tricher. Rencontre.
Il était photographe dans le milieu de la musique, mais a décidé de tout quitter pour les grands espaces de l’Asie et du Moyen-Orient. Kares Le Roy s’aventure au cœur des peuples nomades et de leurs coutumes, dans les déserts et les montagnes de ces régions du monde méconnues. Il a résumé son premier voyage, de l’Asie du Sud-Est à l’Europe, dans un livre intitulé 56 000 km, et récidive avec Ashayer, ouvrage centré sur les peuples nomades de ces régions. Nous l’avons rencontré pour qu’il nous parle de sa photographie, de ses voyages… et voyager un peu nous aussi.
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Tu étais photographe dans le milieu de la musique pendant huit ans. Comment t’est venue l’idée de tout lâcher pour partir visiter et photographier les grands espaces de l’Asie centrale et du Moyen-Orient ?
En France, on aime nous mettre dans des cases et dans l’industrie musicale où j’ai évolué, j’ai vite été catalogué “musiques urbaines”… Après huit ans à concevoir l’identité d’artistes rap, soul ou r’n’b, j’ai senti qu’on m’enfermait dans cet univers que j’ai voulu dépasser en m’ouvrant à d’autres genres de musique comme la chanson française ou le rock… On m’a fait comprendre qu’il fallait rester là où j’étais, mais je ne suis pas trop de ce genre-là, de ceux qui se laissent dicter les règles. Le meilleur moyen pour moi de proposer autre chose était de l’initier moi-même. J’avais déjà beaucoup voyagé au Moyen-Orient, en Syrie, au Liban en Jordanie et je me suis dit que c’était le bon moment de partir pour longtemps et de quitter les diktats de l’industrie dans lequel je travaillais. En juillet 2009, j’ai pris un sac et un appareil photo pour voyager, un billet d’avion pour Jakarta et deux ans après je suis rentré en France par les terres… Mon livre 56 000 kilomètres – un continent et des hommes, c’est ma traversée à pied, à cheval, en moto, à l’arrière d’un bus, du monde asiatique de Jakarta jusqu’à Istanbul.
Comment choisis-tu les lieux et les populations que tu photographies et comment documentes-tu ton travail ?
J’ai toujours beaucoup étudié l’histoire des peuples et des régions que je vais visiter. Avant un départ, je m’organise et me documente longuement, mais il y a toujours une part de rencontre et d’improvisation qui peut changer la donne durant des longs voyages. Avant ma première expédition en 2009, je ne me suis pas dit que j’allais faire un livre ni que j’allais documenter de façon précise une région du monde, alors je me sentais libre de voir et de faire ce que je voulais sans aucune pression. D’ailleurs mon livre 56 000 km, qui est la synthèse de ce voyage, n’a pas vraiment de thème, c’est davantage une mise en perspective des peuples et des cultures en Asie.
https://www.instagram.com/p/BP-cIWTgU33/?hl=en&taken-by=karesleroy
Dans l’ensemble, féru d’histoire, ce sont les premières civilisations, la Perse et la Mésopotamie, qui m’ont inspiré ; ou encore les légendes héroïques autour de Gengis Khan, Tamerlan, ou des tribus turco-mongoles qui ont envahi l’Asie d’est en ouest jusqu’aux portes de l’Europe. J’ai donc naturellement eu l’envie de voir ce qu’il restait de ces civilisations, de ces histoires, de ces peuples décrits comme barbares pendant très longtemps. A travers mes livres, mes photos, mes expositions je tente de faire le constat de ce que je vois, de ce que je ressens sur place. Je consacre tout mon temps à ce travail depuis 8 ans et reste concentré principalement sur le Moyen-Orient et l’Asie centrale. Au total, j’ai dû passer plus d’un an en Iran et je me suis totalement pris d’amour pour ce pays où je retourne plusieurs fois par an.
En mai 2014, je suis reparti pendant seize mois dans un van aménagé en direction de l’Iran avec pour but de suivre les nomades qui peuplent la région. Une grande partie de la civilisation est sédentarisée mais plusieurs groupes nomades migrent encore non loin des grandes villes. Ce qui m’intéresse depuis quatre ans, ce sont les restes de ce monde tribal et c’est ce qui a été la base de mes recherches et de mes investigations pour ce deuxième projet : Ashayer – ce qui signifie “nomades” en persan. Je me suis renseigné et documenté pendant longtemps sur les tribus de Perse et d’Asie centrale dont on parle peu. On a tendance à résumer le monde nomade en parlant de la Mongolie, des steppes et des yourtes mais l’Iran est un pays où il y a un très grands nombres de tribus nomades. La tribu Qashqai est d’ailleurs le plus grand groupe nomade au monde. On parle de plus de 2 millions de personnes durant les premiers temps de la révolution islamique.
Quel rapport à la photographie entretiennent les gens que tu photographies au fin fond des grands espaces asiatiques ?
Cela dépend des situations mais dans l’ensemble, il serait faux de dire que les tribus que je rencontre n’ont jamais vu d’appareil photo et après quatre ans de travail avec eux je vois les évolutions : la plupart des chefs ont maintenant un portable, voire un smartphone qui fait des photos. Ils ont donc un rapport avec la photographie et l’image. Mais le plus dur pour moi est de faire comprendre ma démarche quand je les photographie. Ils ne comprennent pas toujours ce que je fais quand je passe du temps avec eux. Mon travail est un mélange entre portraits et scènes de vie, il me faut donc du temps pour être accepté dans un camp de nomades. On me refuse des fois l’accès, mais c’est rare…
Pas facile d’effleurer ce monde sans le changer, en le laissant tel qu’on l’a trouvé ; mais je n’imagine pas repartir après plusieurs jours sans leur laisser quelque chose. Et je n’ai souvent que mes photos que j’imprime sur place avec une imprimante portable. Si je ne peux pas ou que je n’ai pas le temps, je fais en sorte de leur envoyer, que quelqu’un leur apporte pour moi. C’est vraiment le minimum que je peux faire même si je sais que ça n’a pas de valeur.
https://www.instagram.com/p/BOrSaeYgCQs/?hl=en&taken-by=karesleroy
Comment arrives-tu à créer le contact avec les peuples nomades ?
Les nomades ne viennent pas vers moi ! Par définition, ils sont souvent en déplacement et vivent en marge de la société. Ils est difficile, voire impossible sans aide de trouver leurs camps à quelques kilomètres d’une route, au milieu de zones désertiques. Ils ont une certaine appréhension des gens des villes, surtout car ils savent qu’ils sont mal vus. Les nomades, les “ashayer” sont l’équivalent des gitans en Europe. Donc que je sois européen ou iranien ça ne change rien, je reste un étranger ! Il y a un temps d’adaptation ; ils me jugent et m’observent, et dès qu’ils m’acceptent, je les sens très vite très curieux de mieux me connaître. Ils ont souvent des tas de questions concernant mon mode de vie. Le rapport à l’argent est présent aussi. “Combien coute ça chez toi?… ” Bien évidement toutes ces discussions sont remplies de clichés… Et c’est normal ! Au final je me demande s’ils ne me posent pas plus de questions sur la façon dont je vis que tu m’en poses là ! Le monde nomade disparait. Très peu d’Iraniens connaissent les tribus de leur pays et leurs histoires. Je pars du principe que je fais un travail de mémoire, pour eux comme pour moi.
Quelle est ta démarche désormais ? Quelles motivations as-tu développées au fil des voyages ?
Il y a une chose qui a changé, c’est qu’avant j’étais dans une errance quasi total. Il y a huit ans, je n’avais pas d’expérience et ce que j’ai appris ne s’apprend pas dans les livres. Après avoir passé autant de temps, j’appréhende cette partie du monde d’une manière différente. Je me suis fait nomade pour suivre les nomades et c’est une philosophie de vie qui s’est imposée à moi. Ma quête de liberté n’est pas assouvie mais j’ai moins besoin de me prouver des choses aujourd’hui. Je retourne en Iran comme si j’allais chez moi. C’est un pays que je connais mieux que la France, il y a forcément moins d’étonnement que les premières fois où j’y ai mis les pieds. Entre documentation et représentation artistique, je continue de photographier ce pays et ceux qui l’entourent le mieux possible, car ils continuent de me fasciner. D’une certaine façon, je me rends compte avec le temps, que ma motivation est de créer à mon échelle un pont culturel entre le Moyen-Orient et l’Occident. Mes livres en sont des témoignages très personnels.
Mon travail a toujours balancé entre le reportage et la photographie contemporaine. D’un côté, j’ai une démarche d’ethnographe car je me documente, photographie, décris et collecte des objets depuis des années – j’ai même un mini musée chez moi ! – et de l’autre j’ai une vision très moderne de ce que je peux apporter. Je ne suis pas un homme de science, je suis un esthète, donc j’ai tendance à toujours sublimer ce que je vois et ce que je vis. J’ai quitté l’école très jeune et je n’ai pas pour but d’écrire une thèse sur les nomades, ni sur la culture arabo-musulmane alors même si j’étudie et lis beaucoup sur la question, je ne prétends pas apporter autre chose que mon regard sur ces pays et sur ces peuples.
Comment résumerais-tu ton travail ?
Sur le projet Ashayer, deux grandes composantes sont apparues naturellement quand on a monter le livre avec mon ami, photographe et directeur artistique Wahib Chehata : c’est le silence et le vertige. De l’espace confiné de mon van avec lequel j’ai voyagé 16 mois de la France à l’Afghanistan, j’ai traversé parmi les plus grandes étendues désertiques au monde. Je n’ai pas eu tout de suite le recul nécessaire mais dès que l’on s’est penché sur les photos que contenaient les cartes mémoires de mon appareils, la dureté de vivre au milieu de ces espaces gigantesques est apparue clairement. J’aime que l’on ressente en regardant la photo ce que j’ai ressenti en la prenant. On m’a dit plusieurs fois que mon dernier livre donnait froid, et j’ai eu froid… Quand on regarde ma série sur les chasseurs aigliers au Kirghizistan, par exemple, il faisait – 30°C ! Mon travail, à travers mes photographies, est une invitation au voyage, à la découverte, au vertige que j’ai pu ressentir tout au long de ces pays que j’ai traversés.
Le livre Ashayer de Kares Le Roy disponible ici.
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