Contrairement à ses engagements de campagne, le président américain vient d’annoncer le renforcement des troupes américaines à Kaboul. Plus qu’un simple coup de tête, cette nouvelle prise de position s’explique par plusieurs facteurs.
Retournement de situation : lundi 21 août, dans une allocution de vingt minutes prononcée depuis une base militaire près de Washington, Donald Trump a formellement exclu tout retrait des troupes américaines d’Afghanistan. Un virage à 180 degrés qui a de quoi étonner : le Président avait promis, tout au long de sa campagne électorale, que les Etats-Unis cesseraient d’être « le gendarme du monde » sous sa coupe (son slogan étant alors « America first »).
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Changeant finalement son fusil d’épaule, le chef des armées a déclaré : « Mon instinct initial était de se retirer – et, historiquement, j’aime suivre mon instinct. Mais toute ma vie durant j’ai entendu dire que les décisions étaient très différentes lorsque vous êtes dans le Bureau ovale. Autrement dit, quand vous êtes président des États-Unis. » Une nouvelle stratégie qui s’aligne finalement sur celle de ses prédécesseur, et qui consiste à réduire l’influence des talibans d’Al-Qaïda ou de l’État islamique.
Aligné sur ses prédécesseurs
La guerre contre les talibans, engagée par George W. Bush suite aux attentats du 11 septembre 2001, est devenue le conflit le plus long dans lequel les Etats-Unis se soient engagés depuis leur indépendance. Alors que la plupart des pays occidentaux ont retiré leurs troupes au 1er janvier 2015, lorsque la mission de l’Otan a pris fin, 8 400 militaires américains sont encore présents en Afghanistan dans le cadre de l’opération « Soutien résolu ». Un chiffre qui reste cependant bien en deçà des 100 000 hommes envoyés sur place au « point d’orgue » du conflit. Tout comme Donald Trump, Barack Obama avait aussi opéré un puissant rétropédalage en décidant un très net renforcement des troupes (le « surge« ) fin 2009 pour contrer la menace.
Mais contrairement aux anciens présidents, Donald Trump espère bien jouer sur l’effet de surprise. Hors de question de révéler le calendrier ou le nombre d’hommes supplémentaires déployés. Même si un haut responsable américain a souligné que le Président a donné son feu vert au Pentagone pour le déploiement de jusqu’à 4 000 soldats supplémentaires.
Il faut sauver le soldat Kaboul
Reste à se demander quel fut l’élément déclencheur. Pourquoi Donald Trump renonce-t-il finalement à quitter le pays ? Lui qui semblait si sceptique après seize ans de conflit, le voilà désormais paré à monter au front. Il semblerait qu’après des mois de réflexion, le conseil des militaires du Pentagone a eu raison de ses réticences. D’aucuns redoutent un effondrement spectaculaire du gouvernement de Kaboul en cas de retrait des troupes étrangères. L’avancée constante des talibans, tantôt en concurrence avec Daech, tantôt main dans la main, ne leur donne pas tort. Et ce plus particulièrement depuis le départ d’une partie des forces de la coalition internationale.
De là à dire que ce renfort inopiné pourrait radicalement changer la donne, il n’y a qu’un pas… Qu’aucun spécialiste un tant soit peu au fait du conflit ne franchira. En réalité, le dessein de Donald Trump est moindre : en installant ses troupes, sans doute le milliardaire espère pouvoir, au mieux, défendre les grandes métropoles, et de facto, le gouvernement en place. Empêchant dès lors que l’Afghanistan redevienne le centre d’attaques terroristes.
“Les États-Unis peuvent seulement prévenir la défaite du gouvernement afghan et empêcher les talibans de tenir les villes, analyse Karim Pakzad, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) pour La Croix. Les autorités américaines se contentent de maintenir sous contrôle relatif un conflit de basse intensité. Ils veulent gagner du temps en attendant de voir comment la situation évolue avec la Chine, le Pakistan, la Russie et l’Iran.”
Une stratégie pour redorer son blason ?
Mais sans surprise, le revirement opéré par le chef des armées ne fait pas que des adeptes. Si, pour certains, il s’agit d’une salvatrice prise de conscience, d’autres voient d’un mauvais œil les pertes à venir. Et l’interrogation est légitime : la guerre en Afghanistan a déjà causé de nombreux morts. Les Etats-Unis déplorent plus de 2 400 soldats tués depuis 2001 – soit deux fois plus de morts que l’ensemble des autres pays de la coalition : 1 136 victimes). Près de 500 militaires ont perdu la vie au cours de la seule année 2010. Tristes chiffres auxquels il faut ajouter les nombreux blessés de guerre : un décompte réalisé en avril 2017 par le Congressional Research Institute fait état de 20 092 soldats touchés sur le terrain.
Côté comptabilité, le bilan n’est guère plus positif. Toutes les guerres ont un coût, et la facture de celle-ci est particulièrement salée. Le gouvernement a dépensé près 110 milliards d’euros pour la reconstruction du pays. Paradoxalement, ce résultat ne peut que conforter Donald Trump quant à sa nouvelle décision, comme le soulève Valère Ndior, maître de conférences en droit public : « De nombreux observateurs de la vie politique américaine estiment que le Président ne souhaite justement pas que le sacrifice de milliers d’hommes soit considéré comme vain après seize ans d’engagements en Afghanistan. Renoncer pourrait être perçu comme un aveu d’échec. »
Même si nombre de détracteurs ne pourront s’empêcher d’y lire un énième retournement de veste fort peu rassurant. Coup de com’ « trumpesque » ? Manipulation ? « D’aucuns considéreront que ce changement ne fait que confirmer l’inconstance ou l’impulsivité du Président en matière de politique étrangère, voire l’instrumentalisation du dossier afghan afin de redorer son blason » commente ainsi l’expert.
« Qui va payer pour ça ? De quelle façon mesurerons-nous le succès? Nous n’avons pas gagné avec 100 000 soldats. Comment allons-nous gagner avec 4 000 supplémentaires ? » a alors publiquement demandé la commentatrice conservatrice Laura Ingraham, peu confiante. Ce à quoi Donald Trump pourrait répondre qu’il se réserve toujours le droit de revenir une nouvelle fois sur sa décision en cas d’enlisement. Après tout, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas (deux fois) d’avis…
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