Si on était cynique, on n’y verrait qu’un artifice de communication. Mais on y cherche autre chose. La marque d’un entêtement. La liberté d’un président élu sur sa « normalité » et qui refuse dès lors de se laisser piéger dans son bureau doré de l’Elysée. Qui s’échappe, dès qu’il en a l’occasion, pour aller serrer des mains, […]
Si on était cynique, on n’y verrait qu’un artifice de communication. Mais on y cherche autre chose. La marque d’un entêtement. La liberté d’un président élu sur sa « normalité » et qui refuse dès lors de se laisser piéger dans son bureau doré de l’Elysée. Qui s’échappe, dès qu’il en a l’occasion, pour aller serrer des mains, signer des autographes, embrasser des femmes et des enfants.
Pendant la campagne présidentielle, l’équipe de François Hollande appelait ces promenades désordonnées des « déambulations ». Dimanche, à Reims, après sa rencontre avec Angela Merkel, le chef de l’Etat sort sur le parvis de l’hôtel de ville, suivi de près par les policiers et les gendarmes qui assurent sa sécurité. La maire de Reims, Adeline Hazan, l’accompagne, avec quelques élus. François Hollande s’élance sans attendre vers les barrières derrière lesquelles les gens se sont massés depuis quelques dizaines de minutes.
Le rituel est toujours le même : quelques mots d’encouragement pour le président, qui paraphe en retour tout ce qu’on lui tend sous forme de papier, jusqu’à un billet de dix euros ce jour là… Il va vers la droite, jusqu’à la dernière main tendue, puis repart dans l’autre sens, toujours flanqué de ses anges gardiens. Ces derniers écartent fermement les journalistes qui cherchent à saisir quelques échanges. Des échanges brefs. Honnêtement, ils ne semblent pas de nature à éclairer vraiment le chef de l’Etat sur l’état de l’opinion mais François Hollande fait partie de ces politiques qui assurent saisir dans un regard, dans une attitude, l’humeur du citoyen, de l’électeur.
Le bain de foule se prolonge puis le petit cortège présidentiel s’engouffre dans une avenue. Les badauds sont moins nombreux. Tous les trois mètres, un policier en tenue claire se tient au garde-à-vous. « C’est une déambulation présidentielle », plaisante un membre du staff élyséen. Derrière les barrières, certains habitants de Reims sont intimidés, surpris de voir le chef de l’Etat interrompre sa marche pour venir les saluer. Lui sourit, prend la pose à leurs côtés.
Ce contact, qui est le pain quotidien d’une campagne électorale et qui s’est interrompu, comme suspendu depuis sa prise de fonctions à la mi-mai, cela lui manquait ?
« Oui, c’est vrai, je le confesse, répond-il, ce n’est pas facile d’arriver à la présidence de la République, d’être immédiatement absorbé par un grand nombre d’événements internationaux, de conférences, de conseils européens, de déplacements. J’ai besoin d’avoir ce retour des Français, à la fois pour leurs exigences, leurs espérances, parfois leurs inquiétudes, ils me l’ont communiqué. »
« J’ai été aspiré par l’action internationale, insiste-t-il, comme pour s’excuser, l’Europe, la régulation de la crise, le souci de mettre la France au meilleur niveau et puis ensuite de revenir vers les Français ». « C’est ce que je vais faire dans les prochains jours, les prochaines semaines », précise-t-il.
« Je demande un soutien différent »
Sur les pavés rendus luisants par la pluie, François Hollande savoure son moment d’évasion. Il s’attarde devant les micros tendus : « Aujourd’hui, ce n’est plus le temps de la campagne, c’est le temps d’une présidence qui doit réussir, donc je demande un soutien différent. Ce n’est plus pour participer à une élection, c’est pour participer à une action. » Il avouerait presque une nostalgie mais il se reprend : « On ne peut pas non plus prolonger un temps qui serait celui d’une campagne électorale. »
La « déambulation » de Reims a duré une bonne demi-heure, un temps volé au programme officiel, qui n’en faisait pas mention. Derrière le groupe entourant François Hollande, les voitures du cortège officiel ont suivi au pas. La vitesse reprend ses droits. Le président est attendu à Paris. Dans son palais. Derrière des grilles.
Depuis qu’il est arrivé à l’Elysée, François Hollande partage la même crainte que tous ses prédécesseurs, celle d’être coupé des Français par le poids du protocole, la somme des activités élyséennes… et la courtisanerie qui accompagne inexorablement notre monarchie républicaine. Il a gardé son téléphone portable, même s’il répond moins souvent. Il maintient le contact avec des élus pour prendre le pouls du « terrain ». Il n’est pas un promeneur solitaire comme l’était François Mitterrand, amateur de librairies où presque rien ne venait troubler le silence. Mais François Hollande fait aussi penser au personnage du Prisonnier, qui, quand il croit qu’il est enfin libre, se fait rattraper sur la plage par une gigantesque bulle.