Malgré une mise en scène et des dehors énervés, le neuvième album de Booba se veut, par endroits, un formidable réceptacle de rimes sensibles et de confessions intimes.
Avant d’écouter le neuvième album de Booba, tout laissait à penser qu’il serait une ode à son démentiel ego, qu’il ne contiendrait que d’imposants bangers prêts à terrasser la concurrence. Il y a d’abord eu le nom de l’album en question, Trône, comme pour mieux rappeler à ceux qui en douteraient encore qu’il règne sur le rap français depuis une quinzaine d’années. Il y a ensuite eu la supposée pochette, adaptant librement le trône de Game Of Thrones et censée annoncer une guerre dont lui seul pourrait sortir vainqueur. Il y a enfin eu la date de sortie initiale, le 15 décembre, histoire de titiller son éternel rival, Rohff, né le même jour.
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Spleen et idéal
Après plusieurs écoutes de Trône, il convient pourtant de rétablir une certaine vérité : s’ils renferment évidemment leur lot de punchlines sauvages, d’images moqueuses et d’hyperboles salaces, les quinze morceaux présents ici, produits par Dany Synthé, Heezy Lee ou encore Twinsmatic, dévoilent par instants une sensibilité touchante. Quitte à complexifier un peu plus la personnalité de Booba ? Pas vraiment quand on sait que ses morceaux ont toujours contenu une certaine noirceur et une évidente fragilité (« La vie c’est dur, ça fait mal dès qu’ça commence/Pour ça qu’on pleure tous à la naissance », rappait-il du temps de Lunatic), mais il est assez marquant de constater à quel point le Duc de Boulogne assume ici son penchant le plus mélancolique : « J’ai fais des erreurs, dans la vie rien ne s’efface/J’suis fait pour une seule femme, pour plusieurs pétasses/J’assume mes crimes, mes péchés/Transporte ma peine, l’poids des médailles/Quand j’prends la haine, j’blâme pas le Sheitan/ »
Au fond, Booba ne fait rien d’autre ici que de s’inscrire dans une tendance générale, parfaitement perceptible au sein du rap américain comme de son versant hexagonal. En 2017, le spleen semble en effet s’être lentement installé dans la tête des MC’s : quand Vald dit avoir « envie de se suicider comme Kid Cudi », Lomepal, lui, raconte sa dépression à sa mère (« Hé m’man, tu veux un double scoop ? Quand j’prends ma mob alors que j’suis pété à la mort/C’est pas de l’inconscience, non, c’est que j’en ai rien à foutre/Mourir, j’en ai rien à foutre ») ; quand Josman dit attendre « la mort », attendre « qu’elle m’appelle », Orelsan, lui, prétend que ses « nuits sont blanches » et ses « idées noires », que « c’est comme chaque fois qu’j’ai arrêté d’boire » et que « les journées ne sont plus qu’des gueules de bois ».
« Sombres histoires »
Derrière ses rimes conquérantes (« Vénus de Milo, anus de J.Lo, je veux tout ») et ses allusions aux gamos ou aux tchoins dénudées, Booba sublime donc cette tendance. L’ultime Petite fille (DKR et E.L.E.P.H.A.N.T étant placés en bonus track) illustre cela à la perfection : portée par un redoutable sens du rythme et une interprétation inimitable, cette mélodie, dédiée à sa fille, heurte l’intime et rappelle, un peu à la manière de Renaud sur Mistral Gagnant, que les supposés gros durs sont parfois les plus aptes à saisir l’émotion : « À m’asseoir sur un banc/En tenant dans ma main tes petits doigts de femme/Tu me laisses croire que Dieu est grand/Je ne tomberai pour toi plus jamais pour des kilogrammes. »
Le boss du 92i a beau refuser de se plaindre, dire que ce « n’est pas comme ça qu’on paye les factures », c’est bien à de « sombres histoires », de « tristes mélo » que l’on se confronte à l’écoute de Trône. Certaines cicatrices sont personnelles, d’autres, en revanche, sont davantage liées à la France, à son passé colonialiste et au traitement qu’elle réserve aujourd’hui encore aux personnes d’origines étrangères (« Le noir est méchant, le blanc est gentil »). Plus que jamais, Booba semble en effet rendre hommage au continent africain, à ses ancêtres comme à son héritage musical (les beats de DKR, À la folie ou Ça va aller).
Au détour d’une rime, il évoque ainsi son africanité (« Tu veux voir ce que c’est Africa, t’as juste à me sucer la queue ») aussi bien que sa double nationalité et tout ce que cela suppose (« Allez les Bleus, allez les Lions, moi je suis un peu des deux »). On peut dès lors supposer que la situation économique et politique en Afrique est l’une des raisons du mal-être de B2O, mais il semble aussi que celui-ci soit plus profond. À l’image de Ridin’, un des sommets de ce neuvième album, où il présente les relations amoureuses comme un fardeau, comme une angoisse pouvant le conduire à sa propre perte et l’empêcher de pouvoir vivre sa vie pleinement : « J’ai creusé tunnel dans son cœur, j’me suis évadé ».
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