Un homme marié dans la tourmente, une jeune fille qui perd la vue, une vieille dame esseulée sur une petite plage, et une autre vadrouillant gaiement un peu partout en France… Voici notre sélection des 10 DVD qu’il ne faut pas manquer en cette fin d’année.
Ava de Léa Mysius
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Dans le florilège de films présentés cette année à Cannes, deux binômes féminins se sont particulièrement démarqués, devenant les nouvelles coqueluches du jeune cinéma d’auteur français. Parmi elles, Léonor Serraille distinguée de la Caméra d’or pour Jeune Femme, avec Laetitia Dosch en héroïne au bord de la crise de nerf. Mais aussi la cinéaste Léa Mysius et sa jeune actrice Noée Abita, une gamine à la mine boudeuse et au regard noir, remarquées pour Ava, leur première fois commune. Dans ce film, il est donc question d’Ava, une jeune fille bougonne et frondeuse qui, au début des vacances d’été, apprend qu’elle va perdre la vue. Le soir, sa vision est réduite à un petit cercle trouble, aussi grand que l’œilleton d’une caméra.
Pour son premier long métrage, Léa Mysius s’attaque au genre très balisé du récit initiatique d’une jeune fille en fleur. Mais loin d’emprunter la voie programmatique qu’on associe au genre, la cinéaste réalise un teen-movie solaire. La belle idée du film tient dans la manière dont elle mêle à l’éveil du désir, la mort d’autre chose : la vue. Pour “passer le meilleur été de sa vie” (dixit sa mère incarnée par Laure Calamy), Ava s’aventure un peu partout, regarde autour d’elle, étend ses sens et aime, pour que sa rétine ne perde pas une miette des dernières instants imagés de sa vie.
C’est donc à travers les yeux défectueux de son héroïne que Léa Mysius filme le petit monde qui l’entoure. On passe ainsi des couleurs chatoyantes d’une plage bondée et colorée à des clairs-obscurs de fin de journée, signe de l’affaiblissement de la vue de la jeune fille. Sans jamais consentir au portrait psychologisant du mal-être adolescent, Léa Mysius fait de cette banale existence une épopée sensitive et sensuelle.
Coffret Brian De Palma chez Carlotta
https://www.youtube.com/watch?v=v40_sPA3m9k
Avec un beau succès lors de sa première parution, le grand livre d’entretien de Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud consacré à Brian De Palma était introuvable (ou troqué à prix d’or) depuis des années. Il est aujourd’hui réédité et agrémenté d’un coffret DVD de six films, toujours chez Carlotta. En 2001, lors de la sortie du livre, Brian De Palma est encore un cinéaste prisé. Il vient de réaliser Mission to Mars, sa première excursion SF et son aura de figure du Nouvel Hollywood n’a pas encore fléchi. Les majors lui ouvrent volontiers leurs studios (malgré l’échec de Snake Eyes) et son œuvre est consacrée un peu partout dans des festivals internationaux.
Seize ans plus tard, le réalisateur de Carrie n’a plus posé un pied de caméra sur le sol des Etats-Unis depuis bien longtemps et Hollywood lui a claqué la porte au nez. C’est à partir de ce constat que s’est construite cette réédition augmentée, avec le désir, pour les deux auteurs, de retrouver Brian De Palma là où ils l’avaient quitté. A l’intérieur de ce bel objet pop, agrémenté de photos de tournages (fournies par De Palma himself), on trouve bien évidemment les premiers entretiens mais aussi des nouveaux où il est question des derniers films du cinéaste.
En complément du livre, un coffret de six films du réalisateur, parmi lesquels le cultissime Scarface (1983), Pulsions (1980), puissant condensé des obsessions palmesques, son remake US de Blow-Up d’Antonioni devenu Blow Out (1981), Body Double (1984), l’opéra-rock hallucinatoire et ultrakitsch Phantom of the Paradise (1974), et enfin Furie (1978).
Louise en hiver de Jean-François Laguionie
La fin de l’été approche. Les vacanciers commencent à plier bagage et, peu à peu, les plages de la petite station balnéaire de Biligen-sur-Mer se vident. Louise, une retraitée réservée, est aussi sur le départ, mais elle rate le dernier train. La vieille dame se retrouve alors seule sur ce petit îlot désertique. C’est précisément dans ces grands espaces vidés de tout que Louise se retrouve. Entourée d’animaux et de crustacés, la petite dame au dos arrondi se remémore des souvenirs qu’elle croyait perdus : ceux de sa jeunesse, de ses premières fois, qu’elle confie à un chien bavard.
Jean-François Laguionie, qui a souvent fait de la mer son lieu de prédilection, implante à nouveau son récit d’animation au bord de l’eau. Ici, la petite station balnéaire, d’abord inquiétante, devient un cocon douillet mais aussi mortifère. Un stimulant mémoriel où les souvenirs jaillissent comme les vagues contre les rochers. Dans un style toujours plus épuré, fait de couleurs presque passées, Laguionie retranscrit l’évanescence d’une vie et ses petites fêlures. En complément du coffret DVD édité par Condor, retrouvez un entretien avec le réalisateur, les animatiques du film, un sujet sur l’enregistrement de la musique ainsi qu’un artbook de 64 pages.
Le Jour d’après de Hong Sang-soo
Le cinéaste coréen nous avait depuis longtemps habitués à une cadence effrénée, mais cette année fait office de petit record : deux films sortis en salles (Yourself and Yours et Le jour d’après) et deux autres en festival (La Caméra de Claire à Cannes et Seule sur la plage la nuit à la Berlinale). Dans Yourself and Yours (février 2017), une jeune fille s’invente une sœur jumelle et fait de son double fantasmé (ou réel ?) un parfait alibi, gage de sa liberté. En se faisant passer pour une autre, elle peut errer comme bon lui semble dans les bars de Séoul.
A l’inverse, dans Le Jour d’après (juin 2017), Song Areum (Min-Hee Kim), est, malgré elle, prise pour une personne qu’elle n’est pas. Tout juste embauchée dans une petite maison d’édition comme assistante d’un écrivain séduisant et séducteur, la jeune femme est prise à partie par la furieuse femme de ce dernier qui croit reconnaître en elle la maîtresse de son époux.
Comme souvent chez Hong Sang-soo, les choses du quotidien sont enveloppées d’une belle étrangeté et les quiproquos s’enchaînent si vite qu’on ne parvient plus à démêler le vrai du faux. Ici, ce n’est donc plus une jeune fille qui rêve d’un double libérateur, mais un homme vil qui intervertit maîtresse et assistante pour éviter de nouveaux tracas. Avec Le Jour d’après Hong Sang-soo réalise probablement son œuvre la plus sombre, peut-être parce que plus autobiographique que jamais.
Le Vénérable W. de Barbet Schroeder
En Birmanie, un influent moine bouddhiste, dévoué à une religion fondée sur des valeurs censément pacifistes, répand un peu partout dans le sud-ouest du pays une parole haineuse et islamophobe. Avec Le vénérable W., nom du maudit gourou Wirathu, Barbet Schroeder poursuit son auscultation du mal et conclut ainsi sa trilogie initiée en 1974 avec Général Idi Amin Dada, portrait du président ougandais, et étoffée en 2007 avec L’Avocat de la terreur consacré à Jacques Vergès.
Dans ce troisième opus, le cinéaste décortique le processus de haine et son atroce banalité en plaçant la parole au cœur de son film. Il en dévoile ainsi son pouvoir d’endoctrinement imparable. Si le film est parsemé de quelques archives d’une violence inouïe montrant le passage à tabac de musulmans, à l’image l’incarnation du mal est moins évidente qu’elle n’y paraît. Car la monstruosité, semble nous dire Schroeder, n’a pas de véritable visage. Elle se niche un peu partout, même dans les traits apaisés d’un moine bouddhiste.
Une femme fantastique de Sebastián Lelio
Après Gloria, portrait d’une quinquagénaire dans le Chili d’aujourd’hui (Ours d’argent pour son actrice Paulina García), Sebastián Lelio a bien failli rafler un nouveau prix d’interprétation pour Daniela Vega, l’actrice de son nouveau film Une femme fantastique. Ce sera finalement un autre Ours d’argent, celui du meilleur scénario, pour ce troisième long métrage coécrit avec son interprète principale. Toujours implanté dans le Chili contemporain, le long métrage suit le quotidien de Marina, une femme transgenre brutalement endeuillée par la perte de l’homme avec qui elle partageait sa vie. La femme est ensuite confrontée à sa belle-famille horrifiée par son identité sexuelle. Un beau mélo qui vaut surtout pour sa fascinante actrice.
Visages, villages d’Agnès Varda et JR
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Après ses Plages en 2008 puis une mini-série pour Arte en 2011, on croyait Agnès Varda retirée du cinéma. C’est donc ravis que l’on apprenait, en 2016, son grand retour derrière la caméra. Un retour à deux, puisque pour son nouvel essai filmé, la Mamita punk (surnom donné par ses petits-enfants) au bol bicolore s’entourait du street artist JR. Lancé sur les routes de France à bord d’un camion photographique, le duo chamailleur s’arrête où bon lui semble pour tirer le portrait de différentes personnes croisées au hasard des chemins : une femme refusant de quitter sa maison destinée à être détruite, un facteur, des ouvriers, des enfants, etc.
Si on retrouve dans Visages, villages le motif chéri de l’œuvre documentaire de Varda, à savoir la rencontre sous toutes ses formes, le film vaut surtout pour celle, tendre et incongrue, entre la réalisatrice et JR. Plus qu’une nouvelle variation des Glaneurs et la Glaneuse, Visages, villages apporte une nouvelle pièce à l’autoportrait fragmenté de Varda. Enfin, ce qui passionne et bouleverse, c’est la manière dont le docu scrute l’œuvre de la cinéaste dans un mouvement rétrospectif, se souvenant des chers disparus (Guy Bourdin et Jacques Demy, toujours) comme des vieux amis oubliés (Jean-Luc Godard).
Coffret Hou Hsiao-hsien, 6 œuvres de jeunesse
Après une diffusion en salle l’année dernière, les œuvres de jeunesse d’Hou Hsiao-hsien sont regroupées pour la première fois en version restaurée dans un beau coffret édité chez Carlotta. Chef de file de la Nouvelle Vague taïwanaise au côté d’Edward Yang, Hou Hsiao-hsien est l’un des cinéastes les plus passionnants de son temps. Se replonger dans ses premiers films, c’est à la fois déceler les ramifications d’une œuvre en devenir et affûter son regard sur la filmographie d’un cinéaste qui n’a jamais fait que scruter les tournoiements de la jeunesse contemporaine. Parmi les six œuvres, on trouve sa trilogie autobiographique (Les Garçons de Fengkuei, 1983 ; Un temps pour vivre, un temps pour mourir, 1985 ; et Poussières dans le vent, 1986), mais aussi Cute Girl (1980), Green Green Grass of Home (1982) et La Fille du Nil (1987).
Le Caire confidentiel de Tarik Saleh
Dans les bas-fonds du Caire, à la veille du printemps arabe, une jeune chanteuse est retrouvée morte. Noureddine, flic mutique et ténébreux, planche sur l’enquête et suspecte un lien avec le gouvernement en place de Moubarak. Pour son deuxième long métrage, Tarik Saleh, cinéaste suédois d’origine égyptienne, ancien street artist reconverti en réalisateur de pub dont on ne savait trop rien, réalise un thriller sensualiste et sensoriel. Dans les rues fantasmées du Caire (il a en réalité tourné à Casablanca pour des raisons d’autorisation), le cinéaste restitue avec une grande virtuosité le brouhaha urbain et les différentes classes sociales qui le composent.
It Comes at Night de Trey Edward Shults
“As-tu la moindre idée de ce qui se passe ici?” demande Paul à l’homme qu’il a ligoté à un large tronc d’arbre. La victime au torse nu recouvert de boue reste muet face à l’épaisse silhouette de l’homme aussi terrifiant que la question qu’il vient de poser. Alors, que se passe-t-il ici ?
Dans une immense forêt, une famille vit recluse dans une maison qu’elle a aménagée en véritable bunker. Rien de ce qui se passe au-dehors de ces murs épais n’est expliqué ni même nommé, mais les précautions drastiques prises par le patriarche Paul pour préserver les siens laissent présager le pire. C’est d’abord comme un film de fin du monde que se présente It Comes at Night, une fable apocalyptique ou un mystérieux virus aurait décimé la quasi-totalité de l’humanité. Mais dès qu’une deuxième famille à la recherche d’un abri s’introduit dans l’antre de la première et dans son quotidien millimétré, les choses se dérèglent.
Le survival horrifique se meut en thriller paranoïaque ou l’autre, l’étranger, si semblable qu’il soit, ne peut être considéré autrement que comme une menace qu’il faut chasser ou éradiquer. Avec It Comes at Night, Trey Edward Shults, jeune cinéaste américain dont c’est le deuxième long métrage après Krisha en 2015, brosse le portrait déformé et terrifiant d’une société US possédée par une peur viscérale, et aveuglée par sa croyance indéfectible en la famille. Un film d’horreur malade et intrigant qui laisse espérer un bel avenir à Trey Edward Shults.
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