SMILF, qui met en scène une mère célibataire trentenaire en situation de précarité, s’impose comme la bonne surprise de l’automne.
Il y a encore quelques semaines, Frankie Shaw était une actrice plus ou moins reconnaissable comme Hollywood en compte des dizaines. On l’avait croisée dans Blue Mountain State, Mixology ou encore la première saison de Mr. Robot – dans le rôle de la petite amie junkie du héros –, sans forcément voir en elle autre chose qu’une présence vaguement familière. C’est l’injustice de l’entertainment que de ne montrer qu’un aspect très limité du talent de certains artistes, jusqu’à un hypothétique point de basculement.
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La trentenaire a eu cette opportunité et cette force. Elle avait réalisé en 2014 un court métrage remarqué à Sundance, qui l’a transformée aux yeux de l’industrie. Deux ans plus tard, ce film est devenu une série du même nom – SMILF –, l’une des plus intrigantes de la fin d’année.
https://youtu.be/bg8lF5n1W7k
SMILF, ou Single Mother I’d Like To Fuck
Shaw a créé la série, coécrit la plupart des épisodes et en réalise certains. Une autofiction ? Presque. Elle tient le premier rôle, celui de Bridgette, une jeune femme de Boston aux perspectives plutôt moroses. Mère célibataire comme sa créatrice l’a été (d’où l’acronyme SMILF, qui signifie Single Mother I’d Like To Fuck), la brunette galère avec énergie pour joindre les deux bouts.
Elle rêve de devenir basketteuse professionnelle, mais la réalité, c’est qu’elle bosse en tant qu’assistante d’une bourgeoise triste (géniale Connie Britton, rescapée de Friday Night Lights et Nashville) en “aidant” ses enfants à faire leurs devoirs – en réalité, elle écrit les rédacs à leur place. Le boulot n’est pas à plein temps, ce qui l’oblige à vivre dans l’urgence du lendemain, gérant son ex bienveillant mais pas toujours dégourdi ainsi que ses parents (dont Rosie O’Donnell, puissante) qui ont l’air tout droit sortis de Shameless, drame familial à la fois trash et subtil diffusé par la même chaîne câblée américaine Showtime.
Ce genre de personnage en rupture douce-amère avec la société est finalement peu présent dans les séries, même si les filles de Broad City pourraient être les jeunes sœurs de Bridgette. Il y a dans SMILF l’atmosphère poisseuse des rêves déchus. Cette précarité, cela n’a rien d’anodin, est celle d’une femme dont la société ne veut plus trop.
Le réel semble ériger des murs autour d’elle
De ce point de vue, la série de Frankie Shaw rejoint en sororité un autre portrait féminin et féministe, que réalise Pamela Adlon d’elle-même dans Better Things – qui a atteint des sommets dans sa deuxième saison tout juste terminée.
Mais le personnage de Better Things fait l’expérience de la marge différemment, avec quinze ans de plus, des enfants plus grands, et un certain équilibre financier. Bridgette n’a pas de filet. Elle s’occupe de son fils de 2 ans et sa vie est parfois encaissée, limitée par le réel qui semble ériger des murs autour d’elle.
La série pointe inlassablement ses plongeons dans un abîme à la moindre contrariété, ses luttes personnelles pour faire entendre sa voix et jouir de son corps malgré tout, l’invention de son bien-être dans l’adversité. Pas toujours une mince affaire.
La fiction rouvre les plaies
Dans le troisième épisode – le plus beau diffusé jusqu’ici –, l’héroïne de SMILF répond à la petite annonce d’un homme d’un certain âge qui cherche à rencontrer une jeune femme juste pour quelques secondes. “Je te donne 300 dollars pour voir ton visage”, dit-il.
Dans la vraie vie, Frankie Shaw a raconté avoir vécu ce moment étrange, qui s’est arrêté là. Dans la série, la scène se poursuit. Bridgette prend un soda avec l’homme. La séquence, magistrale, se termine de façon très difficile, avec le retour d’une scène primitive traumatique connue par la jeune femme avec son père. La fiction rouvre les plaies. Elle est éventuellement capable de les refermer dans un deuxième temps, mais cela reste à voir…
SMILF navigue au plus haut quand elle affronte cette dure nécessité sans regarder ailleurs. Il arrive aussi à la série de s’égarer un peu dans une comédie de la lose moins habitée, peut-être déjà vue dans sa mise en scène de la gêne. On la préfère rêche, ténébreuse, inflammable. On lui souhaite déjà une longue et déconcertante existence.
SMILF Sur Showtime
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