Quand j’étais enfant, mon père faisait une fixation sur Brassens. J’ai rejeté ça à 16 ans parce que c’est bien joli mais c’est un peu plan-plan. Puis j’ai commencé à sortir au Gibus où j’ai rencontré des musiciens : tout d’abord Les Innocents, puis Johnny Thunder, les Fleshtones… C’était un monde qui peut paraître glauque […]
Quand j’étais enfant, mon père faisait une fixation sur Brassens. J’ai rejeté ça à 16 ans parce que c’est bien joli mais c’est un peu plan-plan. Puis j’ai commencé à sortir au Gibus où j’ai rencontré des musiciens : tout d’abord Les Innocents, puis Johnny Thunder, les Fleshtones… C’était un monde qui peut paraître glauque aujourd’hui mais quand on était dedans, c’était super vivant. Les Innocents avaient un pote d’un pote d’un pote qui s’appelait Jay Alansky. C’est lui qui m’a envisagée chanteuse…
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Quels sont tes premiers chocs musicaux ?
Le premier qui m’a profondément bouleversée, c’est David Bowie. C’était en allant à Oxford en voyage linguistique : il y avait des mecs au fond du bus qui écoutaient Starman, et je me suis demandée ce qu’était ce truc génial. J’ai tout acheté, je voulais connaître sa vie, j’étais amoureuse de lui, je suis allé voir Furyo dix fois. Si j’invite des gens à la maison, et que je mets Space oddity, je n’arrive plus à me fixer sur la conversation. Ça me le fait d’ailleurs avec Elliott Smith maintenant. C’est pour ça que j’ai beaucoup de mal à mettre de la musique en fond sonore.
Quels sont les premiers disques que tu as achetés ?
Ma prof d’anglais m’avait passé un disque des Pink Floyd : Obscured by clouds. J’ai dû l’écouter deux cents fois. Après, j’ai acheté une double compilation des Beach Boys chez Leclerc par hasard : c’était bien, mais ça n’a pas eu la puissance de Bowie. Le deuxième gros choc, un peu plus tard, c’était London calling des Clash. Non pas pour la musique mais pour l’énergie.
Et quand tu as commencé à travailler avec Jay Alansky, il t’a fait découvrir ses références ?
Il m’a fait connaître Burt Bacharach, pas mal de musique brésilienne… Tim Buckley aussi qui est devenu un chanteur de chevet. Et puis Todd Rundgren que j’ai mis du temps à aimer : au début, je trouvais ça confus et compliqué. Aujourd’hui, il y a Radiohead, le dernier Massive Attack, Elliott Smith… En fait, il n’y en a pas des tonnes, c’est peut-être parce que je vieillis. Ah si, il y a les Cocteau Twins parce que j’adore la voix d’Elizabeth Frazer. L’album Victoria land, c’est un sommet de volupté musicale.
Quel est ton rapport au cinéma ?
Quand j’étais petite, les actrices me fascinaient plus que les chanteuses : Marilyn Monroe, Lauren Bacall, les actrices du cinéma allemand… A l’époque, j’avais l’impression que la vraie vie était dans le cinéma. Je voulais comme ces actrices une vie d’aventures, de rencontres avec des hommes… J’ai essayé d’être actrice d’ailleurs : je suis même allée au cours Florent, mais j’ai compris que ce n’était pas mon truc.
A quel moment as-tu compris qu’un film, c’était aussi un auteur ?
C’est Jay qui me l’a fait saisir. Moi, je ne faisais que le pressentir. On fonctionnait d’ailleurs comme un metteur en scène et une actrice. J’adore Zhang Yimou chez qui j’apprécie la cruauté et la justesse. J’aime aussi tout Truffaut, surtout Les Deux Anglaises et le Continent. Godard, en revanche, je ne suis pas du tout sensible. Ni Chabrol ni la plupart des cinéastes français en général. Ce n’est pas ça que j’ai envie de voir au cinéma. J’adore Clint Eastwood : tout. Je l’ai découvert dans Les Proies de Don Siegel où il débarque dans un pensionnat de jeunes filles. Toutes les femmes le désirent, mais il finit amputé. Castré en quelque sorte !
Et les livres ?
J’ai eu une passion pour George Bataille : Histoire de l’œil, tout ça. C’était comme de regarder dans un puits sans en voir le fond. Mishima aussi a beaucoup compté. J’ai eu une période polar, avec en particulier James Ellroy. Puis une période où je ne lisais que des ouvrages sur la médecine légale : Lieberman, Necropolis… Ce n’est pas de la grande littérature, mais ça me passionne qu’on puisse lire notre histoire à travers notre corps aussi facilement. Je comprends que De Vinci aille déterrer des cadavres pour étudier ce qu’il y a à l’intérieur. C’est fascinant…
La peinture a beaucoup travaillé là-dessus…
Bacon est un de mes peintres préférés : on sent l’enfermement, le cri intérieur. Quand il dessine des gens dans des cages en verre, c’est comme s’il nous dessinait dans notre condition d’humain. J’aime aussi Frida Kahlo : après un accident où une barre de fer lui a transpercé le bassin, elle a fait des autoportraits en biche transpercée de flèches ou avec des clous enfoncés dans la peau. Ce n’est pas vraiment son style qui m’intéresse mais plutôt le contenu. Un couple qui avait perdu sa fille, tombée d’un immeuble, lui avait demandé un portrait de l’enfant. Elle a peint l’écrasement de la fillette. Les parents ont refusé le tableau, horrifiés. Elle était juste et cruelle.
Finissons par la photo : je crois que tu connais bien ?
Je suis très sensible au travail de Mapplethorpe. Il y a des photos où il est en train de faire une fellation en se cachant les yeux avec les mains : on sent à la fois le plaisir, le désir, la honte. C’est très beau. J’aime aussi Cindy Sherman mais pas tout. En fait, ce qui me touche, ce sont les autoportraits : pas pour le narcissisme, mais au contraire pour la mise en danger de se servir de soi comme support. J’adore aussi les portraits de femmes de Jan Saùdek : il les suit de l’adolescence à la vieillesse. Tu vois le corps qui s’alourdit au cours du temps, des césariennes, les seins qui s’alourdissent, la peau qui se frippe. C’est beau, c’est acéré. Les beaux corps, c’est agréable, mais il n’y a pas que ça.
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Le nouvel album de Jil Caplan, Toute crue, sort le 24 avril chez East West.
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