On a découvert Marc Barbé, son visage taillé à la serpe, son corps de bête blessée et son intense présence physique dans Sombre de Philippe Grandrieux. Pour lui, le métier d’acteur reste mystérieux et irrationnel. Un faux amateur.
Qu’est-ce qui vous donne envie de faire ce métier ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Je ne suis toujours pas sûr qu’acteur soit un métier. En tout cas, après plusieurs années de « métier », j’aime beaucoup ça. C’est passionnant de se retrouver dans des projets intéressants. Tous les films ne sont pas forcément gratifiants ; j’ai eu pas mal de chance sur ce point. Je ne sais pas si j’en apprends beaucoup sur moi-même, je pense qu’on fait les choses avec les autres plutôt qu’avec soi-même. Malgré ce qu’on entend souvent, le ressort n’est pas si intérieur que ça. Ce qui est enregistré sur la pellicule au bout du compte, c’est toujours un rapport entre le réalisateur et ses acteurs. Le regard qui compte, c’est celui du cinéaste ; le regard de l’acteur sur lui-même n’a pas grand intérêt.
Quels sont les moments clés du métier ?
J’aime tous les stades du métier d’acteur. J’aime bien quand on prépare, quand on cherche, les conversations avec le réalisateur… Les préparations sont comme une espèce de rêverie. Ce moment-là est très beau : on est le réceptacle d’un tas de choses, on ne sait pas trop quoi, et ça se cristallise quand on tourne. Les acteurs sont les passeurs de quelque chose entre réalisateur et spectateurs, il faut garder ça en tête : on n’est pas des créateurs, on transmet… il ne faut pas faire obstacle, il faut laisser les choses se transmettre. J’aime beaucoup aussi le tournage : il y a une incarnation des choses qui est jubilatoire, il y a les partenaires. Dans la mesure où les réalisateurs l’acceptent, j’aime aussi beaucoup aller suivre le montage, voir ce que devient le film. Ce que je n’aime pas dans le métier, ce sont les castings où les gens opèrent comme s’ils faisaient leur marché.
Qu’est-ce qui détermine vos choix artistiques ? Quel est votre rapport à l’argent ?
Je suis peut-être dans un luxe, mais jusqu’à présent, je n’ai jamais fait de film pour des critères financiers. Je tiens beaucoup à ça. Mais c’est une question de choix : la nécessité financière, je n’y crois pas trop, je pense que c’est une situation dans laquelle on se met ou pas. Après, les critères relèvent aussi d’une affaire humaine. On rencontre un réalisateur une heure ou deux, avant de lui taper dans la main et de dire « Je fais le film ». C’est un rapport humain : on écoute ce que dit le réalisateur de son film et après, ça peut être le début d’une amitié. Le scénario n’est pas un critère suffisant : il y a de mauvais scénarios qui font d’excellents films et vice-versa. Ce qui compte, c’est ce que le réalisateur propose, avec son intelligence, avec son corps… Il m’est arrivé de refuser des projets, mais une fois, j’ai regretté de ne pas avoir fait un film : le film précédent de la personne m’avait gonflé et j’ai refusé de la voir. C’est idiot : il faut rencontrer les gens, parce que tout le monde peut louper un film et réussir le suivant. Je vis de ce métier, mais il y a beaucoup d’acteurs qui rament terriblement, même avec notre système d’intermittents. Ils sont sans doute 80 % à avoir du mal à vivre. Dans le cinéma, on est très bien payés, même quand on est mal payés. On l’est toujours bien mieux qu’au théâtre ou ailleurs. En faisant un film par an, un peu de théâtre, on vit : mais ça, c’est déjà du luxe !
Quelle est la réalité du métier ?
Comédien est mon métier, mais il m’arrive de me dire que je ne ferai pas forcément ça toute ma vie. C’est très précaire, comme tous les métiers « artistiques ». Et puis les acteurs viennent d’horizons très divers. Certains ont un parcours scolaire, le conservatoire, etc., d’autres deviennent comédiens par hasard, sur le tard, comme moi. On peut devenir comédien sans « formation », et il y a là quelque chose d’assez mystérieux. On ne sait pas trop ce qui fait un acteur, et c’est dans ce sens-là que je ne suis pas certain que ce soit un « métier ». Et puis c’est une pratique professionnelle qui n’a pas d’ancrage social, ce qui est assez troublant.
J’ai fait d’autres métiers avant, je ne suis donc pas structuré par le statut d’acteur. Mais c’est vrai que quand on est acteur, on n’est nulle part socialement. Les réalisateurs font faire des essais non pas pour savoir si l’acteur joue bien, mais pour savoir qui ils ont envie de filmer : là-dessus, il n’y a aucune justice, c’est simplement une affaire de désir. C’est un métier irrationnel où il n’y a pas de critères solides, pas de diplôme possible, où il est difficile d’affirmer qui est bon ou pas.
Ceux qui pensent qu’être acteur, c’est connaître la gloire, le glamour et la richesse ne peuvent être que désenchantés. Moi je pense que la richesse et la célébrité ne changent pas profondément la vie, ça peut la pourrir parce que ça doit être chiant d’être célèbre ! J’ai pu avoir des petites déceptions sur certains films dont j’attendais plus, mais être dans un film décevant, c’est de bonne guerre, c’est la vie. Faire un film, c’est difficile, quelquefois les cinéastes les ratent. Et nous, quelquefois on n’est pas très bons. Mais ce métier m’a clairement apporté plus de satisfactions que d’emmerdements.
*
Films principaux :
Artaud de Gérard Mordillat, Jeunesse sans dieu de Catherine Corsini, Sombre de Philippe Grandrieux.
Actuellement à l’affiche dansTrois huit de Philippe Le Guay.
A venir :Deux films avec Gérard Mordillat et Philippe Grandrieux.
{"type":"Banniere-Basse"}