Sa frimousse a surgi du Karnaval de Thomas Vincent. Depuis, Sylvie Testud vit son métier comme une belle suite d’imprévus, loin des sentiers balisés.
Pourquoi et comment avez-vous eu envie de devenir actrice ?
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J’avais envie de raconter des histoires. Moi, j’aime raconter des histoires. S’il n’y a rien à raconter, je n’ai pas envie de m’investir. Je me mobilise vraiment quand je sens qu’il y a le début d’une histoire et un petit personnage à faire venir. C’est quand je sens qu’il va falloir faire une « performance d’acteur » et « mettre ses tripes sur la table » que je me sens bridée, sèche… Je n’ai plus rien envie de donner… Je pense qu’il faut se laisser voler, au lieu de se donner à tort et à travers sur un plateau. Ça ne m’intéresse pas, ni à regarder ni à faire…
Quels sont les moments importants du métier ?
Quand on se rend compte que tout ce qu’on a dit avec le réalisateur sur le personnage, toute la préparation du rôle, ne servira à rien, au final… C’est un moment que j’adore, parce qu’on est dépossédé de tout ce qu’on avait prévu… L’histoire se met à exister sans nous, je me sens embarquée, c’est bon signe. Généralement, ça se passe au bout d’une ou deux semaines de tournage, quand on a tout bien balisé, que tout est bien poli, bien carré, alors l’insolence arrive, et c’est arrivé sur tous les films que j’ai faits… C’est comme ça qu’on échappe à la volonté de faire seulement ce qui avait été prévu. L’exécution d’un programme, en vue d’un produit fini, ne m’intéresse pas… J’aime que tous les éléments extérieurs entrent dans le film pour le modifier. J’aime que le réalisateur soit une espèce de chef d’orchestre qui commande ses exécutants, mais seulement une fois que ceux-ci se sont répondu les uns les autres. Il faut aller dans son mouvement, bien sûr, mais il ne s’agit plus de lui donner seulement ce qu’il a demandé… J’essaie donc de me faire très vite perturber par les éléments extérieurs, la présence des autres. Avec Chantal Akerman sur La Captive, il s’est passé un truc encore plus fort : elle nous a donné des piliers, des éléments pour essayer de nous expliquer la relation entre les deux personnages, et elle nous a laissés nous débrouiller à l’intérieur de ces balises, jusqu’à ce que le film se fasse tout seul. J’avais l’impression de ne rien faire, juste respirer devant la caméra : pour un acteur, c’est génial.
Depuis quatre ans, je n’arrête pas de travailler. Et je souffre du manque de temps. Parce que j’adore m’ennuyer, ne rien faire, absolument rien ! Donc l’attente éventuelle entre deux projets ne me perturbe pas des masses ! Mais je suis sûrement inconsciente par rapport à ça… Mon moment préféré, c’est quand j’ai aimé un scénario et qu’après, la rencontre avec la personne est bien, qu’on se comprend. Ça me rassure sur le côté quête impossible de notre métier…
En revanche, je déteste le moment des premières répétitions, quand on doit prouver à ses partenaires qu’on est vraiment là, alors que tout le monde est encore en train de se chercher. Il y a là une part de frime, de tricherie, que je n’aime pas, on est en représentation. C’est un passage obligé et insupportable.
Qu’est-ce qui détermine vos choix artistiques ?
Je refuse un film quand j’ai l’impression de reconnaître le personnage, quand il existe sans moi. Si j’ai l’impression d’avoir croisé le personnage dans la rue hier, ça ne m’intéresse pas car je n’ai rien à lui apporter. Si l’histoire est banale, alors pourquoi en faire un film ? Alors qu’une histoire qui paraît banale peut devenir un film : c’est ce petit décalage qui m’intéresse. Et je n’aime pas ce qui est trop propre, trop carré, trop monochrome. J’aime bien sentir que le cinéaste en face de moi a envie de me voler des choses, s’occupe de mon cas.
Comme on me propose beaucoup plus de choses, je peux être plus précise dans mes choix. Et plus je tourne, plus j’aime ça, parce que j’ai progressé et que ça me motive. J’ai l’impression que le cinéma se diversifie, qu’il est de plus en plus ouvert. Je reçois des propositions si différentes que je me demande parfois comment on a pu penser à moi pour faire tel truc. C’est donc que je ne dois pas être facilement cernable… Je suis surtout contactée par des auteurs, mais j’aimerais bien débouler un jour sur un Leconte, pour voir si j’en suis capable, et pour ne pas que mon image se sédimente… L’expression « prendre un risque » me fait rire, il n’y a pas de risque, c’est pas la guerre, et si je me plante, je me plante ! C’est pas si grave… En revanche, j’aurais les boules de ne pas m’être donnée les moyens d’être bonne dans un film. Là, j’aurais vraiment l’impression de m’être fourvoyée…
Qu’est-ce qui serait un compromis ?
De faire un projet qui ne me convainc pas et que j’accepterais par amitié, parce que le cinéaste qui a passé trois ans à l’écrire me touche et que je n’ose pas refuser de faire son film. C’est particulièrement dur quand c’est un premier film, et si en plus il a été écrit pour moi…
C’est dans ces cas-là que mon agent, Catherine Meynial, est importante, quand je suis trop faible pour dire « non ». Elle est très carrée, autant que moi je suis bordélique, et elle me pose les bonnes questions, comme un psy, elle pointe les failles et rattrape mes faiblesses. Elle me recadre, mais ne me force à rien.
Quelle est votre relation à l’argent ?
C’est une catastrophe. J’ai un rapport débile à l’argent, je fais comme si ça n’existait pas. Je ne jouais pas au Monopoly quand j’étais petite, mais j’ai l’impression d’y jouer maintenant : je dépense 100 000 f comme je dépense 100 f, c’est une catastrophe… Je sais que je crèverai pauvre. Comme je ne viens pas d’un milieu bourgeois, je devrais connaître la valeur de l’argent, et pourtant non. Quand j’ai envie de m’acheter une bagnole, je l’achète. Et quand j’en ai acheté deux, j’ai plus de blé ! Je gagne de l’argent, mais je pourrais vivre avec beaucoup moins, je m’en fous, ça désespère ma famille…
Comment vivez-vous la réalité de ce métier ?
Quand on commence à faire ce métier, on ne sait pas vraiment pourquoi, parce que ça fait rêver, tout simplement. Si c’était une vocation, je crois que je ne le saurai qu’à la fin de ma vie… Mais j’avance en vivant des vies différentes, et je ne suis pas blasée. C’est encore le début, je n’ai pas encore eu à refaire les choses, je démarre et je suis sereine en me laissant porter par le courant, c’est apaisant. Je sais que je peux encore tenter des choses mais je ne suis plus en guerre, j’ai moins à prouver, je n’ai plus à jouer les bêtes de concours dans un casting. C’était déprimant. Parce que moi, je suis plutôt un buvard à qui on donne le droit de me prendre pour quelqu’un d’autre. Et à la fin, il ne reste plus que moi, être actrice me donne le droit d’exister, parce que j’échappe à la contingence sociale. Si j’avais dû passer un casting pour Les Blessures assassines, qu’est-ce que j’aurais dû faire ? Jouer la folle en trois minutes, me rouler par terre, l’écume aux lèvres ? C’est grotesque. De toute façon, être acteur ne veut rien dire, vous ou ma mère pourriez être acteur, mais moi je le suis parce que je l’assume, parce que je tourne. C’est ça la différence… Etre acteur, c’est faire ce métier. Et un acteur qui ne travaille pas n’est pas un acteur, c’est dégueulasse mais c’est comme ça… Et c’est pour ça que les acteurs qui ne travaillent pas sont si malheureux, si déprimés. Quand je ne tourne pas, je ne suis pas une actrice. Les mauvais comédiens sont justement ceux qui jouent à l’acteur.
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Films principaux :
Karnaval de Thomas Vincent,
La Captive de Chantal Akerman,
Les Blessures assassines de Jean-Pierre Denis.
Actuellement :
Au théâtre : Stella de Goethe (mise en scène : Bruno Bayen).
Prochainement :
Une apparition dans Je rentre à la maison de Manoel de Oliveira.
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