Révélé au grand public par son rôle dans Harry, un ami qui vous veut du bien, Laurent Lucas est devenu essentiel pour les cinéastes français. Rencontre avec un acteur qui travaille.
Pourquoi et comment êtes-vous acteur ?
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Le premier acteur que j’ai rencontré faisait du café-théâtre : ça m’a fasciné de voir dans quelle liberté il vivait. En dehors de ce qu’il faisait sur scène, il avait réussi à trouver quelque chose qui le faisait vivre intensément. C’était visible à l’excitation qu’il avait après la représentation. Quand je suis rentré chez moi, j’avais un cafard terrible parce que je voulais continuer à partager ce qu’il vivait, avec lui. J’avais entrevu une alternative à la vie que je connaissais. Avant et après le spectacle, il n’était plus tout à fait le même. Il y avait quelque chose qui le tenait. Cette chose qui fait qu’on s’endort à 6 h du matin après avoir joué.
Comme beaucoup, j’ai dû être attiré par le côté clinquant du métier : les premières pages des magazines, tout ça. Bon, mais quand on commence à travailler sur les textes, il n’y a plus que ça qui compte. J’ai pris des cours pendant sept ans avant de commencer à jouer : aussi longtemps que pour des études de médecine ! Je ne pensais qu’à ça : j’arrivais au cours le matin, je m’isolais, je travaillais toute la matinée la technique et l’après-midi l’interprétation. Maintenant, je travaille directement sur les scénarios qu’on me propose. Et entre deux films, pour me redonner confiance, je travaille la technique : le chant, la diction… Quand on est dans le métier, les choses s’enclenchent naturellement. Et un peu malgré soi d’ailleurs : on n’y peut pas grand-chose.
On dit beaucoup que comédien est un métier de schizophrène : pour moi, c’est le contraire. C’est un métier qui m’a construit et équilibré. Pour moi, la plus grande qualité à avoir dans ce métier, c’est l’ouverture. La difficulté, c’est de réussir à intellectualiser le travail en gardant cette ouverture qui permet aussi de travailler avec les sens.
Quels ont été les moments clés de votre carrière ?
Je ne prépare pas ma carrière. Je travaille sur chaque projet qui vient, l’un après l’autre.
Mon dernier refus, c’était hier. J’avais lu un scénario, rencontré le réalisateur qui m’avait plu. C’était un projet fragile mais qui me tentait. Et puis j’ai revu le réalisateur qui entretemps avait trouvé son financement. Mais le producteur ne me plaisait pas du tout : je sentais qu’il allait avoir trop d’influence sur le réalisateur, et que ce dernier risquait de ne plus faire le film dont il m’avait parlé. Ça ne m’amusait plus : j’ai laissé tomber.
Il y a autant de raisons de refuser un film que de refus. Le scénario peut me plaire mais pas le personnage. Ou l’inverse.
Mais quelle que soit la raison, j’hésite rarement très longtemps. Je me fie à mon intuition, et quelquefois, je ne sais même pas pourquoi je ne fais pas un film, simplement je sens que ce n’est pas pour moi. Depuis les deux millions d’entrées d’Harry, un ami qui vous veut du bien, je reçois beaucoup plus de propositions. C’est mécanique. Donc, forcément, je refuse de plus en plus de choses.
Je lis tout ce qu’on me propose. C’est un deal avec mon agent. Elle ne filtre pas. Elle me passe tout. Et seulement si un truc me plaît, elle le lit aussi. Nous avons des rapports de confiance, parce qu’elle ne privilégie pas du tout le côté financier. Son premier critère à elle, c’est la qualité du scénario. J’aime aussi beaucoup le fait qu’elle n’a pas d’a priori. Elle ne me pousse pas à travailler avec quelqu’un parce qu’il est à la mode, ou l’inverse. Elle me donne son avis, mais je n’en tiens pas forcément compte. La plupart du temps, je constate qu’elle avait raison. Par exemple quand elle m’avait prévenu qu’un film ne ferait pas un spectateur. A l’arrivée, c’est vrai, mais je suis content d’avoir fait le film quand même. Et elle-même admet que ce n’est pas forcément grave. Elle voit les choses sur le long terme, les rôles qui vont m’enrichir, pas forcément le plus payant à court terme.
Comment les questions d’argent influencent vos choix artistiques ?
L’argent n’influence pas grand-chose. Mes parents ont financé mes sept ans de cours. Ensuite, j’ai fait régulièrement du théâtre : je gagnais ma vie. Pas de façon luxueuse mais suffisamment pour que ça ne soit pas un problème. Depuis que je fais du cinéma, je gagne mieux ma vie parce que l’économie du cinéma brasse plus d’argent. Par exemple, j’ai touché quelque chose de l’ordre de 500 000 f pour le film Harry, un ami qui vous veut du bien, ce qui est certes confortable, mais il faut mettre ça en perspective avec le fait que je travaille six mois par an, et que je suis en « vacance » le reste du temps. Est-ce que c’est de l’argent facile ? Tout dépend avec qui on compare. Par rapport à quelqu’un qui trimerait plus que moi ou gagnerait très peu d’argent, je peux tout à fait me sentir coupable. Mais si je pense à la pédiatre qui s’occupe de mes enfants, de l’argent qu’elle prend par consultation et du nombre de clients qu’elle voit par jour, je me sens très tranquille. OK, c’est important ce qu’elle fait, elle a une grosse responsabilité, mais je trouve que ce qu’elle gagne, c’est de l’argent facile.
J’adore mon travail : en gros, je suis payé pour m’amuser. De ce point de vue-là, c’est plutôt une réussite : c’est pas mal, non, de gagner sa vie en s’amusant ?
Quel est votre rapport à l’industrie et au milieu du cinéma ?
Dernièrement, je suis tombé dans la rue sur un éclairagiste avec qui j’ai fait trois films : il me parlait du film sur lequel il travaille actuellement. J’ai réalisé que ce type était toujours en train de travailler : il passe d’un film à l’autre. Pour moi, il respire le cinéma. Si je pense à la fabrication du cinéma, je pense à lui. Alors que moi, comme je le disais plus haut, je tourne un ou deux films maximum par an, et le reste du temps, je ne vis pas avec le milieu du cinéma. J’ai de l’estime pour tous les gens qui concourent à la fabrication d’un film, à l’aboutissement de l’idée qui est née dans la tête d’un auteur. Même les discussions de gros sous sont intéressantes dans ce métier parce qu’elles sont plus que des discussions de gros sous : elles sont une étape dans un projet artistique. Je trouve qu’aucun des métiers du cinéma n’est dévalorisant.
Quant à l’industrie, j’entends dire depuis mon enfance qu’il y a une tentative des films purement commerciaux d’étouffer la production d’auteur, mais selon moi, il n’y a pas de risque réel.
On m’expliquait récemment qu’au Japon, où depuis trente ans il n’y avait plus que du cinéma de studio, il y a à nouveau des productions indépendantes depuis cinq ou six ans. C’est une question de cycle : il y a toujours un moment où ça repart. On peut faire du théâtre sur du fumier, du cinéma avec une caméra vidéo. L’appât du gain est inquiétant mais ça ne me fait pas réellement peur pour le cinéma. Il est plus fort. Admettons que Vivendi finisse par tout avaler : au pire, ça durera pendant une ou deux générations, et puis après ça explosera. L’homme est plus fort qu’une mode ou qu’un système.
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Films principaux :
J’ai horreur de l’amour de Laurence Ferreira Barbosa,
Pola X de Leos Carax,
La Nouvelle Eve de Catherine Corsini,
Haut les c’urs ! de Solveig Anspach,
Harry, un ami qui vous veut du bien de Dominik Moll, sorti en vidéo.
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