L’auteur afghan, qui a reçu le Goncourt, revient sur son parcours, l’Afghanistan, l’intégrisme, et pourquoi il a demandé à Sarkozy de ne pas renvoyer cinquante-quatre de ses compatriotes dans leur pays.
Vous avez été surpris de recevoir le Goncourt ?
Pour moi, c’était un prix franco-français. J’étais très loin de tout ça : quand j’ai écrit ce livre, je ne pensais à rien d’autre que la colère que j’éprouvais face à l’assassinat d’une poétesse afghane, battue à mort par son mari en 2005. J’étais en pleine préparation pour tourner un film à Calcutta, que j’ai coécrit avec Jean-Claude Carrière. Mais là, il fallait que je réagisse à l’assassinat de cette femme, et je suis allé voir sa famille, son mari qui était en prison. Cette poétesse était pourtant mariée avec un homme éclairé, un prof. J’ai voulu raconter cette histoire et le moment où l’homme commet cet acte de battre à mort la mère de son enfant. Et puis le livre a basculé du côté de la femme…
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C’est votre premier livre écrit en français. La littérature française vous a-t-elle influencé ?
Marguerite Duras a toujours été un maître pour moi. Le premier livre que j’ai acheté en France avec mon allocation de réfugié, en 1985, c’était L’Amant. Ce qui est fort chez Duras, c’est que chaque mot a sa place. Et puis chez elle, j’ai retrouvé des échos de l’écriture de Rûmi, un poète perse du XIIIe siècle. J’étais donc dans un centre d’accueil en province et je passais mon temps à lire Duras – et c’est en la lisant que j’ai appris le français.
Pourquoi avez-vous quitté l’Afghanistan ?
Je l’ai quitté en décembre 1984 à cause de la guerre et des complications dans ma famille, car il m’était difficile de trouver mes repères entre un frère communiste et un père monarchiste. Je me rappelle le premier exposé que j’ai fait à la fac : il portait sur Albert Camus, et le lendemain le bureau du Parti communiste m’a convoqué en me reprochant de parler d’un écrivain bourgeois ! Et puis j’écrivais dans la presse et j’ai vu mes articles censurés. Il y avait aussi la question du service militaire, qui durait quatre ans : comme je ne voulais pas le faire, je suis parti, et après neuf jours et neuf nuits de marche je suis arrivé au Pakistan, où j’ai contacté l’ambassade de France pour demander l’asile politique. Je l’ai obtenu que ques mois plus tard. Je suis arrivé en France en mars 1985, très bien accueilli. Pendant la guerre froide, c’était très facile d’obtenir le droit d’asile pour nous, Afghans, occupés par les communistes. Rien à voir avec aujourd’hui.
L’état dans lequel se trouve l’Afghanistan, vous diriez que c’est de la faute des Russes, des talibans ou des Américains ?
Au moment de la guerre afghano-soviétique, les Occidentaux ont armé jusqu’aux dents la résistance afghane mais n’ont rien fait pour empêcher les islamistes du monde entier de s’emparer de cette résistance. En 85, Ben Laden est venu s’installer au Pakistan, et c’est lui qui a ouvert les écoles coraniques et les écoles militaires. La faute de l’Occident, c’est d’avoir laissé le Pakistan gérer la résistance afghane, et la faute de la résistance afghane, c’est d’avoir accepté de se faire financer par l’Arabie saoudite, qui soutenait les intégristes. Le seul qui a réagi, c’est Massoud.
Vous retournez souvent en Afghanistan ?
Tous les deux mois environ, j’y an me un atelier d’écriture et un atelier de réalisation de film. Et j’interviens comme directeur artistique d’une chaîne de télé indépendante, où on a lancé le premier soap à l’afghane. La jeunesse y est formidable : ils veulent être libres, ils en ont marre des religieux, de ce jeu géopolitique mondial ! C’est pourquoi il faut tout miser sur l’éducation. L’argent qu’on leur envoie va hélas dans la corruption. Si les jeunes ne sont pas aidés, s’ils sombrent dans la misère et ne reçoivent pas d’éducation, ils risquent d’être récupérés par les talibans. Ou alors ils fuient…
Dés le lendemain du Goncourt, vous avez demandé à Sarkozy de renoncer à renvoyer cinquante-quatre Afghans sans-papiers.
Je lui ai demandé de réfléchir, et pour le moment le processus d’expulsion a été suspendu. En rentrant dans leurs villages, ils n’auront rien à part le désespoir, et il sera alors facile pour les talibans de les manipuler.
Propos recueillis par Nelly Kaprièlian Photo Renaud Monfourny
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