Révélée chez Rivette, actuellement à l’affiche de On appelle ça…le printemps, Nathalie Richard est une perfectionniste timide, qui a trouvé le lieu de la parole à travers le métier d’acteur.
Pourquoi avez-vous eu envie de devenir actrice ?
Pourquoi je suis devenu comédienne reste toujours pour moi une question un peu mystérieuse. Je pourrais dire que j’ai toujours aimé jouer toute petite. Ça s’est peut-être cristallisé en allant voir un spectacle quand j’avais 6 ans, avec ma mère et une amie à moi. Je m’ennuyais énormément mais à un moment donné, je ne me suis plus du tout ennuyée ! J’ai le souvenir très fort de comment je regardais la scène, la salle mais je ne me souviens plus de ce qui a provoqué ainsi mon attention. Aujourd’hui, la pratique du métier nourrit cette envie, surtout quand on a la chance de travailler beaucoup. Après, c’est aussi les rencontres avec les gens, le sujet, c’est tout un ensemble qui motive. Mais surtout, la rencontre avec une écriture, avec un texte, donc avec la pensée de quelqu’un.
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Avez-vous déjà eu le sentiment de faire un compromis ?
Je ne suis jamais désillusionnée par rapport au choix de ce métier, mais avec la pratique, on se rend compte que c’est difficile, qu’on n’a pas envie de jouer tous les jours, notamment au théâtre. Ensuite, on n’atteint jamais son idéal : on n’en est pas malheureux, mais c’est quelque chose qu’ on rencontre, qu’on doit penser et accepter. Comme je suis assez perfectionniste, je ne suis jamais totalement satisfaite. Mais ça fait partie de ce métier et heureusement. C’est ce qui fait qu’on continue. Ce sont là des paradoxes qu’on découvre et qu’on expérimente tous les jours. Dans mon parcours, j’estime quand même avoir eu beaucoup de chance.
Vous vous sentez à l’aise dans le métier ?
On a envie de travailler avec d’autres gens, d’explorer d’autres terrains, mais étant très timide, il me faut une énorme volonté. Je me rend compte qu’être actrice, c’est aussi imposer sa présence. Ça, c’est une grande difficulté pour moi. Et c’est là où je me demande parfois pourquoi j’ai voulu devenir actrice, car imposer ma présence n’est pas mon truc. Parler de son travail est déjà très compliqué, parce que c’est une chose toujours mouvante, c’est comme la parole. Quand je parle de mon travail, j’ai toujours l’inquiétude que ça se fige. J’ai du mal à communiquer ça, alors que ça fait partie de certains aspects du métier d’acteur.
Qu’est-ce qui détermine vos choix artistiques ?
Mon critère de choix essentiel, c’est le texte, le scénario, l’écriture. Puis la rencontre avec le metteur en scène. Essayer de comprendre ce qu’il pense et transmettre au mieux sa vision. Après, il y a évidemment le personnage. J’ai souvent eu tendance à jouer des personnages pris dans des démêlés existentiels assez lourds. Ça a tendance à changer. Aujourd’hui, j’ai envie de jouer des choses plus légères, plus distanciées, et dans un rythme plus tranquille. Souvent, dans les films, je bouge dans tous les sens et j’aimerais bien me poser un petit peu. J’en reviens aussi au spectacle de mon enfance : c’est la situation même du spectacle qui m intéresse. Le fait que des gens aillent dans une salle voir quelque chose m a complètement hallucinée. Le moment où ça se passe, qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi ça se passe ? Au fur et à mesure du temps, ma façon de lire les pièces ou les scénarios est liée à ce questionnement.
Avez-vous fait des choix que vous avez regrettés ?
Il m’est arrivé de refuser des films, mais pas souvent. Les choses se sont enchaînées de telle sorte que j’ai toujours choisi ce que j’ai voulu faire. Je ne me suis jamais retrouvée dans une impasse. J’ai refusé des choses parce que j’étais déjà prise ailleurs, parfois parce que le projet ne m intéressait pas. Mais on fait toujours des petits compromis, on ne peut pas adopter une conduite absolument pure, ça n’existe pas. Par contre, faire quelque chose qui ne m intéresse pas du tout, ce serait une telle douleur que je ne peux même pas l’envisager. Ce serait pénible aussi pour les gens avec qui je travaillerais, parce qu’on ne s’amuserait vraiment pas. Je fais quand même ce métier pour m amuser. S’il n’y a pas un minimum de conviction, de joie et d’enthousiasme, c’est l’horreur. Mais je trouve que les acteurs qui font des choses purement alimentaires ont une sacrée force de caractère. Il n’y a aucun jugement à avoir là-dessus. Je trouve ça courageux de jouer dans des films alimentaires parce que ça doit faire énormément de peine : il faut sans doute beaucoup de volonté et de distance. Je ne sais pas si j’en serais capable ? et ce n’est pas forcément une qualité. Si un acteur ne joue pas, qu’est-ce qu’il est ? Absolument rien. C’est terrible. Alors soit on le supporte parce qu’on a d’autres raisons de vivre, d’autres activités, soit c’est insupportable. Je comprend donc parfaitement les acteurs qui acceptent certains boulots. Après, il faut aussi faire attention à ne pas se faire avaler par l’obsession de travailler tout le temps pour ne pas perdre la notion de son travail.
Quels sont les moments forts du métier ?
J’aime bien tous les aspects de mon travail, il n’y en a pas un qui se détache particulièrement. Par contre, l’étape la plus chiante, c’est toute la paperasserie administrative, remplir les feuilles de chômage, de congés spectacles ! Si je n’avais pas d’agent, discuter le prix de mon contrat serait aussi l’angoisse. Rencontrer un metteur en scène pour la première fois et me présenter, pendant longtemps, j’avais du mal. Maintenant, ça va un peu mieux, ça s’est arrangé, mais sans s’arranger complètement. Se présenter pour un rôle, avec un metteur en scène qu’on ne connaît pas, c’est vertigineux. C’est intéressant mais je trouve ça très dur. Qu’est-ce que vous allez raconter ? Vous ? Votre vie ? Mais jouer, c’est déplacer les choses’
La promo, présenter son film en province, c’est passionnant, on voit les réactions des gens. Ce qui est difficile, c’est qu’il s’est généralement écoulé un an ou deux entre le tournage d’un film et sa présentation au public. Entre temps, on a été traversé par d’autres histoires, d’autres films’ Parfois, un film fini ne correspond pas à ce qu’on en a pensé en le tournant, et heureusement. Un tournage donne une vision parcellaire. Quand on voit le film, on découvre le travail de tout le monde : montage, lumière, quel sens a pris l’histoire On prépare un travail, et le film, le personnage deviennent autre chose que ce qu’on a inventé au début.
Au début, parler à la presse m était difficile, pour les mêmes raisons de timidité. J’ai en fait beaucoup de mal à parler dans la vie. Je crois que j’ai trouvé le lieu de la parole en jouant. Mon truc, c’est de dire les mots des autres ! Chez moi, c’est devenu symptomatique !
Quel est votre rapport à l’argent ?
Acteur, pour les gens, c’est une sorte de rêve. Mais c’est un énorme travail, ça prend toute votre vie : ça, ça se paye. Moi, je considère que je suis correctement payée. On me dit souvent que je suis payée en-dessous de ce que je devrais’ c’est vrai que sur le rapport qualité/prix, je ne suis pas chère ! Je ne sais pas défendre mon truc. Il faut quand même avoir une certaine grille de prix, ne pas descendre en-dessous ? sauf projet exceptionnel que l’on tient à faire quelque soit le budget. Si vous n’imposez pas un certain tarif, vous perdez de la crédibilité aux yeux des gens qui vous emploient. C’est très étrange, c’est une vraie question. Si vous êtes moins cher, on vous respecte moins. J’ai du mal à réfléchir à ces questions de tarifs dans notre métier, c’est tellement mouvant et arbitraire. Ce qui peut me choquer, c’est qu’un comédien novice soit sous-payé parce que c’est seulement son premier ou deuxième rôle alors qu’il bosse durement.
Heureusement que j’ai un agent, sans quoi, je ne travaille pas. Elle discute pour moi, s’occupe de mes contrats. Elle me protège dans le sens où elle se bat pour que je sois le mieux traitée possible. Elle me protège aussi de certaines propositions. Nous entretenons une relation professionnelle qui est aussi devenue amicale. Les agents servent aussi à ce que les acteurs et metteurs en scène se rencontrent, ce qui est bien, il le faut pour que les films se fassent. Moi, ce sont plutôt les gens qui viennent vers moi ; je vais aussi vers les gens mais j’ai du mal à faire le premier pas. C’est une erreur. Parce que dans ce métier aujourd’hui, il est fondamental qu’un acteur sache exprimer sa volonté et ses désirs. Je sais répondre aux offres, mais il faut aussi savoir formuler des demandes.
Quel est votre rapport à l’industrie et au milieu du cinéma ?
Les bouleversements de l’industrie créent peut-être un certain désarroi chez les acteurs, une pression accrue, la crainte de ne pas exister. Moi, j’essaye de m’en ficher. Mais j’écoute ce qui se passe. C’est vrai qu’il faut protéger le cinéma français. Après, je trouve que s’il y avait un peu plus de circulation’ Un jeune qui voudrait devenir acteur aujourd’hui, je lui dirais apprend plein de langues, va travailler dans plein de pays’. Rien que pour le jeu, la musique, le texte, c’est génial de parler plusieurs langues, ça ouvre plein de possibilités. Rester braqué sur des films français faits en France avec des Français’, ça devient chiant au bout d’un moment. Pour un acteur, la seule possibilité de participer activement à ce qui se passe aujourd’hui dans le monde, c’est de posséder le potentiel culturel et linguistique de s’adapter à ce machin.
Le milieu du cinéma, je m y sens à la fois solitaire et intégrée. Mais ces histoires de familles, ça me fait chier. Quand on travaille beaucoup, dans cette profession, on finit par ne voir que des gens du métier. C’est insupportable. Le milieu peut devenir une prison. J’essaye de continuer à voir des gens de l’extérieur . Quand on me dit vous êtes l’actrice de tel metteur en scène ou de telle famille , ça m insupporte. Quand les mouvances deviennent des institutions, j’ai envie de les casser. Je suis absolument contre cette idée de famille. Il faut travailler avec des gens différents.
Je me dis tout le temps que je pourrais arrêter ce métier, même si c’est globalement un plaisir incroyable. Mais le doute nous traverse tout le temps et c’est ce qui fait qu’on continue. Au bout d’un certain nombre d’années, je pense que je ne suis pas trop nulle, mais la situation de l’acteur est de répondre au désir de quelqu’un. Ça veut dire qu’on est en attente, qu’on existe par le désir de l’autre : quand on y réfléchit, c’est une situation insupportable, une situation de dépendance. Heureusement que le bonheur de travailler fait oublier ça.
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