Retour sur la première saison de Game of Thrones, série événementielle qui vient de se terminer sur HBO.
Il y a quelques semaines, nous avions publié nos premières impressions largement négatives sur Game of Thrones, la nouvelle série d’heroic fantasy signée HBO, dont les premiers épisodes venaient d’être diffusés dans un concert de louanges. Un exercice nécessaire, mais pas suffisant : la critique de séries a ceci de particulier qu’elle s’attaque à un genre parfois évolutif, voire contradictoire. Elle ne peut se résumer à la critique de pilotes. Ou alors, autant autoriser les journalistes de cinéma à n’évoquer que le premier quart d’heure d’un film.
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La liste des séries ayant passé le cap difficile des premiers épisodes avant de s’épanouir compte de grands noms, même si tout est discutable. Friday Night Lights nous a ensorcelés à partir du milieu de saison 1, Mad Men a d’abord dérouté avant de bouleverser, et Breaking Bad a attendu une année et sept épisodes avant de devenir grande.
Une vision d’ensemble des dix heures de la première saison permet de cerner les intentions de David Benioff et D. B. Weiss, les deux créateurs de Game of Thrones. A partir du canevas des livres éponymes écrits par George R. R. Martin se dessine un monde de familles et de territoires, où les luttes pour la domination font verser des litres de sang. Des thèmes adultes, dont l’originalité provient de la place accordée aux personnages d’enfants qui les incarnent.
De la fin du premier épisode à la fin de la saison tout court, ce sont eux, 10 ans, 15 ans à peine, qui maintiennent notre attention plus que les autres – à l’exception du passionnant personnage de Tyrion Lannister, un fils à papa très spécial. Un prince falot devenu roi cruel, un autre victime d’une tentative de meurtre, une princesse énergique devenue enfant des rues, tout cela ouvre à une thématique centrale de la série telle qu’elle apparaît désormais : une réflexion sur l’ombre tenace du destin, celui qui nous enserre, celui que l’on croit tenir et qui nous échappe.
Cette première saison de Game of Thrones est hantée par l’image de la chute, les déclassements et les pertes de statut, les naissances maudites et les menaces funestes, la lutte impossible à maîtriser entre pulsion de mort et pulsion de vie. De ce point de vue, la cohérence de l’objet est totale et la tension va plutôt crescendo, surtout à partir du septième épisode. Les touches de fantastique restent parcimonieuses. Game of Thrones ressemble à une série historique contemporaine bien produite, dans la lignée de Rome, davantage qu’au Seigneur des anneaux.
Mais cela n’empêche pas quelques défauts envahissants. Souvent, les créateurs semblent confondre le besoin de profondeur avec une certaine lourdeur démonstrative. Game of Thrones donne constamment la preuve de son savoir-faire, comme s’il lui fallait exhiber les marqueurs d’une double appartenance : d’un côté, à la série en costumes prestigieuse, un genre éternel à la télévision ; de l’autre, à la “grande série moderne” où les scènes longues et fouillées sont fréquentes.
Un peu de conservatisme parsemé d’innovation, en somme. L’équilibre n’est pas toujours juste. A certains moments pataude et peu inspirée visuellement, Game of Thrones devient prétentieuse. Ce caractère artificiel de la mise en scène des enjeux la démarque à nos yeux de vrais chefs-d’oeuvre comme The Wire, Rubicon, Friday Night Lights ou Breaking Bad (liste incomplète), qui semblent avoir inventé la forme qui leur convenait sans aucun calcul.
Des séries marquées par une certaine humilité malgré leur ambition extrême, qui acceptent de chercher avant de trouver. On préférera toujours ces objets fragiles et entêtants aux démonstrations de puissance, même brillamment orchestrées.
Olivier Joyard
Game of Thrones Saison 1. Episode 10 le 14 juillet à 22 h 05 sur Orange Cinéchoc.
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