En janvier 2018, JCDecaux va passer la main à Smoovengo pour gérer les vélos en libre-service à Paris. Mais Vélib’, c’est aussi 20 000 vélos – l’équivalent de l’ensemble du parc – volés chaque année. Pourtant les autres villes proposant un tel service ne connaissent pas ce vandalisme. Pourquoi Paris malmène-t-il autant ses Vélib’ ? Et son successeur parviendra-t-il à faire cesser ce saccage ?
Samedi 22 octobre, aux alentours de minuit, dans une rue tranquille de l’Est parisien. Cinq ados entre 14 et 17 ans s’acharnent sur une station Vélib’. Ils tirent et poussent violemment les vélos en libre service pour faire levier sur le système d’attache. A grand renfort de coups de pied. Au bout de quelques minutes d’effort, ils en décrochent certains. Avec ces derniers, ils foncent sur la roue arrière des autres pour débloquer le reste. Ils réussiront finalement à en prendre cinq.
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Des vidéos comme celle-ci, il y en a plusieurs dizaines postées chaque année. Pour cause, dans la capitale, vols et dégradations de Vélib’ sont très répandus.
Particularité très parisienne
Lancés en 2007, les Vélib’ ont connu un succès sans précédent. Avec près de 20 000 vélos en libre-service et 300 000 abonnés, 75 Vélib’ sont loués par minute. Mais depuis dix ans, Vélib’ à Paris, c’est aussi l’équivalent de l’ensemble du parc (toujours 20 000 vélos) volé et dégradé chaque année.
Un taux de vandalisme très élevé. « Ça ne s’est pas démenti tout au long du contrat, c’est devenu une constante », explique Albert Asséraf, directeur général stratégie, data et nouveaux usages chez JCDecaux. Présent dans plusieurs autres villes en Europe, le géant de la publicité, exploitant de Vélib’ depuis son lancement, assure que c’est une particularité très parisienne.
A titre de comparaison, les mêmes vélos mis en libre service dans les mêmes conditions dans d’autres villes ne connaissent pas du tout ces désagréments. A Mulhouse en France, à Namur en Belgique ou à Santander en Espagne, il n’y aurait eu aucun vol recensé par JCDecaux. Dans la ville de Luxembourg, il n’y a eu que deux larcins quand Dublin (Irlande) n’aurait pleuré que onze vélos disparus.
« Deux fois plus de voleurs à l’hectare qu’ailleurs »
Pour Frédéric Héran, économiste et urbaniste à l’université de Lille I plusieurs facteurs expliqueraient ce vandalisme généralisé. Selon ce spécialiste des questions de mobilité le système d’attache du Vélib’ n’est pas adapté. En faisant levier sur cette dernière, ce n’est pas très compliqué de décrocher un vélo.
Sauf qu’à Mulhouse, Namur ou Santander, ce sont les mêmes accroches. « Mais Paris est la ville la plus dense d’Europe, deux fois plus que Londres ou Berlin par exemple, et ça n’a jamais été pris en compte par JCDecaux, analyse Frédéric Héran. Or il y a donc deux fois plus de voleurs à l’hectare qu’ailleurs. C’est une délinquance qui existe et qui existera toujours. »
Le défi : « Qui osera piquer un Vélib’ ? »
Pour autant, le vol de Vélib’ n’est pas le fait d’une criminalité organisée. Loin de là. Les Vélib’, très peu pratiques et pas revendables, sont principalement volés par des mineurs. En 2013, un policier parlait à Libération d’une « criminalité saisonnière, liée à d’autres actes d’incivilité, principalement parce que ces jeunes sont désœuvrés.« Avec des pics de dégradation et de vols lors des vacances scolaires.
Frédéric Héran confirme un constat toujours d’actualité. « Ce sont surtout des adolescents. Il y a un côté défi, à celui qui osera piquer un Vélib’. Il y a l’objectif du jeu. »
Les chiffres le prouvent. Sur les 20 000 vélos volés chaque année, 90 % sont retrouvés dans un plus ou moins bon état. Et deux mille disparaissent de la circulation. JCDecaux considère un vélo volé dès lors que celui-ci n’a pas été rendu dans les 24 heures suivant sa location. Souvent les voleurs de Vélib’ l’abandonnent après avoir joué avec.
L’Etat, ce n’est pas moi
Ainsi, à l’autre bout de la chaîne du Vélib’ volé puis abandonné, il y a des « free riders » comme Léa*. La jeune femme de 27 ans, étudiante en graphisme, avoue prendre parfois des Vélib’ volés en rentrant chez elle. « Quand je suis un peu loin de chez moi et que je croise un Vélib’ abandonné, je le prends pour rentrer. » Pourquoi ne pas s’abonner ? » En général, j’ai un scooter, c’est juste de temps en temps, quand l’occasion se présente. Je l’utilise et après je le remets dans la rue, pour le prochain. » Sans le raccrocher à une station.
Mais attention, Léa ne se permettrait jamais de prendre un vélo privé. Parce que « ça ne se fait pas ». Une conception de la propriété collective qui n’appartiendrait à personne qui joue un grand rôle dans le passage à l’acte. Selon les services de police, les auteurs « n’ont pas l’impression de voler quelqu’un mais juste de s’en prendre à l’Etat ».
Morbihan, Amsterdam et Bamako
Si 90 % des Vélib’ sont retrouvés, une question subsiste néanmoins. Où passent les deux mille vélos qui ne reviennent jamais ? Certains sont disloqués et jamais retrouvés. D’autres sont jetés dans l’eau. Lorsque le canal Saint-Martin a été vidé en 2016, on a retrouvé près de cent vélos au fond. Régulièrement, certains sont repêchés dans la Seine.
Ça sent vraiment la fin pour @Velib !
Sûrement un vélo remonté du canal St Martin après un long séjour 🚲🐚🦐 pic.twitter.com/Fqr2SycULp— Vincent Berthézène 🎥 📺 📡 (@VinBerth) October 24, 2017
Mais d’autres connaissent un destin plus improbable. C’est ainsi que Laurent* a découvert qu’un de ses voisins avait son petit Vélib’ personnel garé dans son jardin… au fin fond du Morbihan. Pareil pour Sylviane* qui, en voyage à Amsterdam cet été, a découvert en se marrant « un Vélib’ parisien, sagement accroché devant une maison, avec un nouvel antivol et un peu customisé« , au milieu des vélos hollandais. Plus étrange encore, ce fameux Vélib’ retrouvé à Bamako au Mali en 2013.
Un #Velib à #Bamako… Comme quoi les produits français s'exporte toujours ! pic.twitter.com/6G98vPuoF3
— Nicolas bastide (@nicoplayed) June 16, 2013
Mauvaise volonté ?
Du côté de JCDecaux, qui passera la main en janvier 2018 à Smoovengo, on assure avoir tenté de lutter contre ce vandalisme généralisé pendant dix ans. Campagne de pub, responsabilisation des mineurs auteurs de vols en les associant aux réparations. Mais aussi amélioration de la résistance de l’accroche latérale ou renforcement de la palette de fixation. Sans succès.
Pour Frédéric Héran, il y aurait également eu un peu de mauvaise volonté de JCDecaux. Le contrat pour l’exploitation du Vélib’ dans les communes concernées n’était pas à même de vraiment motiver l’entreprise à trouver de vraies solutions. Face à l’explosion des vols et dégradations, l’entreprise a réussi à obtenir un avenant au contrat pour augmenter la part de réparations prise en charge par la municipalité. Ainsi, de zéro euro payé au titre des réparations de 2007 à 2013, la facture adressée à la Mairie de Paris est passée à 1,6 million en 2014. De quoi relativiser.
« Le petit jeu va continuer »
Aujourd’hui, du côté du syndicat Autolib’ Vélib’ Métropole qui regroupe les communes profitant du Vélib, on regarde vers l’avenir et on se félicite du choix du nouvel opérateur, Smoovengo.
Cette fois-ci, dégradations et vols auraient été pris en compte dans le contrat. Système d’attache revu, avec une fourche cadenas qui prendrait la roue avant entièrement. Bécane plus résistante, brevetée BMX. Et, nouveauté ultime, système de blocage à distance grâce à une « VBox », intégrée au vélo.
Niveau contrat, il y a des avancées aussi, assure Catherine Barrati-Elbaz, la présidente du syndicat : au delà de 10 % de dégradation du parc, les frais serait pris en charge par Smoovengo. Mais Frédéric Héran, lui, pense que cela ne suffira pas et que “de toute façon, c’est une délinquance juvénile très difficile à canaliser. Le petit jeu va continuer”.
(*les prénoms ont été modifiés)
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