Dans un discours, le chef de l’Etat a annoncé samedi ses “trois priorités” en matière de lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes ainsi que les moyens budgétaires pour cette “grande cause du quinquennat”. Nous avons suivi cette allocution avec des représentantes d’associations féministes, pas franchement emballées par ce discours.
Ne rien laisser passer. Tel était le mot d’ordre lancé par le gouvernement français samedi 25 octobre, à l’occasion de la journée mondiale pour l’élimination des violences faites aux femmes.
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Il n’a pas fallu le dire deux fois. Alors qu’à l’Élysée, le président de la République s’exprimait devant 200 personnes issues du monde associatif, des institutions et de la classe politique, une dizaine de militantes, ainsi que quelques journalistes, s’étaient donné rendez-vous rue de Turenne, pour y suivre en direct l’allocution.
En direct de @My_Little_Paris pour suivre le discours sur les violences faites aux femmes #SoyezAuRdv pic.twitter.com/SMzoV8q8Bz
— Tid/dit (@camilletdjdt) November 25, 2017
Membres de différentes association de défense des droits des femmes, elles incarnent la nouvelle génération du féminisme : jeune et connectée. Celles qui, depuis plusieurs mois, interpellent le Président sur le sujet des violences. C’est dire si, dans l’ambiance poudrée de chez Mona, café de cowoorking résolument tourné vers l’empowerment, le Président était attendu au tournant.
“Soyez au rendez-vous”
C’est la “grande cause du quinquennat” selon Emmanuel Macron, l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce qui était déjà un des thèmes de campagne du candidat avant son élection en mai dernier est devenu un sujet brûlant ces derniers mois, dans le sillage de l’affaire Weinstein. Suffisamment en tout cas pour justifier cette allocution, un samedi matin, à la télévision nationale. Chez Mona, on s’en félicite mais on souligne néanmoins que le Président aura attendu près de deux mois avant de réagir publiquement.
L’allocution est attendue avec impatience, mais aussi avec une certaine appréhension. C’est qu’en seulement quelques mois, les militantes ont déjà essuyé plusieurs déceptions. Ce fut d’abord la création d’un secrétariat d’État en charge de l’Égalité homme-femme, mis entre les mains de Marlène Schiappa, en lieu et place du ministère du Droit des femmes promis. Puis en juillet, la crainte de voir baisser les subventions aux associations. Bien que Marlène Schiappa ait assuré que les fonds de soutien aux associations de lutte contre les violences seraient “sanctuarisées”, la rumeur a laissé planer un doute.
Un départ en demi-teinte
11h30, ça commence. La première partie de la transmission prend la forme d’une suite de courtes allocutions (environ 3 minutes), de la part de six “grands témoins”. Parmi eux, le médecin urgentiste et écrivain Patrick Pelloux, la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, ou la comédienne Florence Foresti. Trois femmes et trois hommes en tout. Une parité parfaite, soulignée par le dernier intervenant Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation, qui se présente avec humour comme “la variable d’ajustement”. Du côté de Marlène Schiappa aussi, en dépit du sujet, le ton se veut léger : face à l’assemblée, elle s’essaie à quelques plaisanteries.
Chez Mona l’ambiance est plus studieuse. Assises sur de petits canapés aux couleurs claires, les jeunes femmes sont concentrées. Les doigts pianotent sur les téléphones, quelques commentaires sont échangés. D’entrée de jeu, l’épineuse question est posée par la première intervenante, issue du monde associatif : celle des moyens alloués par L’État aux associations d’aides aux femmes. Ce budget, c’est le nerf de la guerre, et son évocation ne cessera de revenir tout au long de la journée.
“Une honte nationale”
Vers 12h, le Président entre dans le champ. Derrière son pupitre, il prononce un long discours, très écrit, comme il en a l’habitude. A plusieurs reprises, il salue le travail des associations, qualifiées d’“indispensables”. Le ton est solennel face à ce qu’Emmanuel Macron considère comme une “honte nationale” : “Quelque chose ne marche pas dans notre République”, souligne-t-il. Une minute de silence est observée en hommage aux 123 femmes mortes victimes de violence en 2016.
Pour Sophie, Anna, Emilie, Fatima, Catherine, … je ne les citerai pas toutes. Elles sont 123 à être décédées en 2016. Opposons le silence vibrant du respect. #NeRienLaisserPasser pic.twitter.com/VKHeGJPkBG
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) November 25, 2017
Après avoir détaillé les différentes formes de violences, en avoir décrit les mécanismes parfois, les avoir déplorées toujours, le président de la République présente les nombreuses mesures prévues. Elles s’articulent autour de trois priorités : l’éducation, l’accompagnement des victimes et le renforcement de l’arsenal répressif. Une mesure en particulier, celle de l’indexation de l’âge du consentement présumé sur celui de la majorité sexuelle, est applaudie. Surtout, il annonce un budget de 420 millions sur cinq ans.
Pas au rendez-vous
Du côté des militantes, c’est la déception. Pour preuve, l’évolution du hashtag de ralliement : en l’espace d’une demi-heure de prise de parole présidentielle, il est passé de “Soyez au RDV” à “Pas au RDV”.
Des “effets d’annonces”, et pas de réelle nouveauté, jugent-elles : la plupart des mesures sont en effet des redites. Le 20 juillet, devant la délégation aux droits des femmes du Sénat, Marlène Schiappa avait ainsi évoqué son intention de “créer une infraction relative au harcèlement dans l’espace public”, “d’allonger à trente ans le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur mineurs” ou encore “d’inclure dans la formation des jeunes du service civique et national une journée dédiée à l’égalité femmes/hommes”. Trois mesures annoncées ce samedi par Emmanuel Macron. Idem pour ce qui concerne “l’exemplarité du service public” que le Président appelle de ses vœux : en juillet, la secrétaire d’Etat parlait déjà d’une nécessaire “exemplarité de l’Etat”.
Nous allons donc entreprendre une action résolue fondée sur trois priorités. #NeRienLaisserPasser pic.twitter.com/NpEfe0VlK9
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) November 25, 2017
On s’interroge aussi sur la question des violences dans le monde du travail, un “angle mort” selon Clara Gonzales, militante féministe et co-initiatrice des actions #SoyezauRDV. Si le Président est longtemps revenu sur ces question, il a pour certaines observatrices manqué de fermeté : “Pourquoi ‘interpeler’ les entreprises quand on dispose d’un arsenal légal ?, s’étonne-t-elle. Le Président a des moyens d’action et les entreprises des obligations légales.”
“On nous brosse dans le sens du poil, mais niveau budget c’est zéro”
Surtout, la fin de l’allocution est l’occasion de sortir les calculatrices. Car en matière d’égalité comme ailleurs, c’est souvent aussi une affaire de sous. Comment former des professionnels sans argent, s’interroge-t-on ? Dans ce domaine, la déception est de mise. Le chiffre avancé par Emmanuel Macron, 420 millions débloqué sur cinq ans, est contesté.
https://twitter.com/carolinedehaas/status/934539372493451264
A la suite de Caroline de Haas, plusieurs militantes dénoncent un “jeu de jonglage comptable” du gouvernement. S’appuyant sur une enquête publiée par les Nouvelles News, elles pointent une confusion (volontaire) entre la part du budget de l’État allouée aux violences faites aux femmes et celle concernant toutes les dépenses liées de près ou de loin à la question de l’égalité. La deuxième catégorie, transversale et interministérielle, comprend des volets importants de l’action publique, mais qui n’ont que peu à voir avec la question des violences. Un jeu comptable, qui permettrait de grossir les chiffres.
Si on suit leur raisonnement, le budget ne devrait donc augmenter de 25 millions en 2018, au lieu des 115 millions annoncés, voire rester stable en passant de 29, 8 à 30 millions. Loin en tout cas des 420 millions annoncés. Du côté de l’Élysée, on conteste ces chiffres. Sur Twitter, Marlène Schiappa a interpellée directement Caroline de Haas, l’accusant de vouloir dévaloriser l’action du gouvernement.
Non @carolinedehaas je ne parle pas des associations féministes, je parle de vous.
Qui instrumentalisez et déformez jusqu'à plus soif.
Cessez d'essayer de monter les unes contre les autres.
Le tournant historique d'hier autour du Président appelle +de hauteur.
Pour les femmes. https://t.co/DDiYF0dqjN— 🇫🇷 MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) November 26, 2017
Il n’en reste pas moins qu’“on ne fait pas une grande cause nationale avec le plus petit budget de l’État”, comme le souligne Laure Salmona. 0,007% du budget de l’État est alloué aux droits des femmes. Membre des Féministes contre le Cyberharcèlement, elle ajoute :
“On ne peut pas demander à la société civile de mener seule le combat sans subventions, ni demander aux femmes qui s’engagent de continuer à travailler de façon précaire avec des salaires qui sont parmi les plus bas du milieu associatif”
Sans argent, pas de volonté politique. D’autant plus qu’elle qualifie la situation des femmes victimes de violence en France d’“urgence sanitaire” :
“En France, 80 000 femmes sont victimes de viol et tentatives de viol. Le coût des seules violences conjugales a lui été estimé à 3,6 milliards d’euros par an [selon la chercheuse Catherine Cavalin de Sciences Po]. Lutter contre ces violences, ce serait, aussi, un bon investissement”
Un exemple revient, celui de l’Espagne, et un chiffre : 1 milliard d’euros. Annoncé par le gouvernement le 24 juillet, ce fonds sera alloué alors même que le pays vit une profonde crise économique. Il est pour les militantes une preuve que l’État français peut faire mieux, beaucoup mieux.
Pas de “délation généralisée”
“Un combat culturel, ça se gagne par les images, ça se gagne par les mots”, a conclu Marlène Schiappa. Lors du discours d’Emmanuel Macron, un mot surtout a fait tiquer les militantes : “délation”. Répété trois fois, il a été largement relayé dans les médias, servant souvent d’accroche.“Une erreur” pour Paola Paci, membre de l’association En avant toutes !
“C’est grave de dire ça, et c’est faux. Il confond séduction et violence, et généralise cette question à celle des relations hommes-femmes. Le risque, c’est que les victimes continuent à avoir peur de parler”.
Clara Gonzales critique un travail de sape : “Personne aujourd’hui dans la société n’a besoin que le président de le République dise ça. Et c’est en contradiction avec sa conclusion qui est de dire : ‘vous n’êtes plus seules’”. Le contraste es en effet surprenant : erreur de communication, ou contradictions inhérentes à un discours calibré pour plaire à des publics très différents ?
Au milieu de blabla et quelques propos regrettables : les propositions pour améliorer l’arsenal législatif confirmées, important. On espère que le Président va désormais chiffrer les autres projets, vite. #SoyezAuRdv
— Clara Gonzales (@Claranote) November 25, 2017
Une mobilisation importante
Même son de cloche l’après-midi, lors de la manifestation. “De l’argent pour les violences, pas pour le monde de la finance”, pouvait-on entendre place de la République au départ du cortège. Environ un millier de personnes étaient réunies (chiffre AFP), à l’appel d’organisations féministes, de partis de gauche (PCF, NPA, LO…) et de syndicats (Solidaires). En tête de cortège, plusieurs personnes vêtues de noir, portant autour du coup le nom de femmes assassinées dans l’année.
C’est avec un certain optimisme que les personnes présentent jugeaient la libération de la parole et l’émergence de cette question dans le débat public. Sur le sujet de la mise en place des mesures annoncées par Emmanuel Macron en revanche, elles restent dubitatives. “Ça va être aux citoyennes et aux citoyens de se mobiliser, car si on suit le rythme du gouvernement, dans cinq ans on a les mêmes chiffres”, nous dit une manifestante. Pas de doute, elles, elles seront au rendez-vous.
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