Tout juste rentré du Château de Maupertuis, où il enregistrait “Fragments Séquencés”, on a rencontré le mystérieux producteur français. On a discuté de sa musique ambivalente, à cheval entre le Moyen-Âge et la contemporanéité.
À quelques heures de son concert au New Morning, à Paris, le garçon a le sourire aux lèvres. Son premier long format, Fragments Séquencés, est sorti depuis quelques jours, et Renart (alias emprunté au Roman de Renart), semble heureux. Il sirote tranquillement son café. “Ma mère me lisait souvent ce livre quand j’étais petit, raconte-t-il. Elle m’a transmis un certain intérêt pour le Moyen-Age, et aussi, pour la littérature. Puis, quand j’ai commencé le projet Renart, le délire de base c’était de faire de la techno moyenâgeuse ».
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En continuant sur ce même thème, l’artiste détaille avec plus de précision ce qui l’a poussé à embrasser ce surnom, soufflant même quelques mots de philosophie : “Renart est à la fois un seigneur du Moyen-Age et un paria. Lévi-Strauss a identifié le personnage comme étant la figure du décepteur – “celui qui trompe, qui trahit“. C’est à la fois quelqu’un qui fait rire et qui peut être cruel. C’est un personnage ambivalent ”. Cette ambivalence, justement, est une notion clef pour comprendre à la fois la musique de l’artiste, et l’homme qui se cache derrière.
Renart, l’anticonformiste
“Je n’arrive pas du tout à me conformer, à faire ce qu’on voudrait que je fasse”, concède le producteur. Une affirmation qui se colle aussi bien à sa musique qu’à ses goûts. Lui, ce “fan des reconstitutions du début de la Renaissance”, a pris goût à la musique via un disque pour le moins atypique : “Quand j’étais jeune, j’écoutais un CD de reconstitution de musique de la Grèce Antique. Il m’a énormément influencé. J’adore son côté ultra dark ”.
Pourtant, quand on écoute la musique de Renart, son attirance pour l’Histoire n’est pas aussi frappante que quand il en parle.
“C’est une des ambivalences dont je parlais tout à l’heure. Avec le projet Renart, j’ai envie d’utiliser tous les codes sonores actuels. Le message que j’essaye de délivrer reste assez intemporel. Du coup, il peut rappeler le passé, il peut être référencé. Il y a ce double-jeu.” Un processus de création peu commun, qui a su séduire plusieurs labels.
Des labels et des amis
Depuis 2010, ils sont deux à s’être acoquinés avec le canidé. “Légèrement en premier ” la maison lyonnaise Dawn Records, qui s’est faite porte-voix de deux EP, Et les rêves Absents et De Bellvm Civille (qui emprunte son nom à un livre écrit par Jules César). Puis, la troupe parisienne de Cracki Records, d’abord tombée sous les Petits Charmes (EP) de Renart, avant de s’engager sur un plus long format, Fragments Séquencés, donc. “Tout s’est fait ultra naturellement des deux côtés, ils sont devenus des amis, mêmes. Dans ces conditions, c’est carrément plus agréable de faire de la musique. Ils me connaissent bien, on se fait confiance ” sourit l’artiste.
Alors qu’avec ses amis lyonnais le DJ se permet de “plus mettre en avant des choses extrêmes”, ses productions pour Cracki se veulent plus “mélodiques”. D’où le choix de la maison parisienne, pour la confection d’un premier album : “Je ne voulais pas que l’album soit monotone, alors j’ai essayé de brosser tout le spectre de ce que je savais faire. Vu que j’avais déjà sorti quelques EP avant, il fallait que je fasse une sorte de mini-anthologie, avant de pouvoir réellement passer à autre chose. J’avais besoin que chaque morceau représente une partie différente de ce que j’avais fait”.
La confection d’un premier album
Au milieu de ce processus de création, deux personnes ont joué un rôle important pour le canidé, François et Donatien de Cracki. D’abord pour définir quelle serait la tracklist finale, surtout, en tant qu’“oreilles extérieures” : “C’était marrant d’élaborer ce projet à trois, même si c’était moi qui choisissais les éléments qui me paraissaient indispensables. Ça m’a permis de faire quelque chose d’ouvert aux autres, que l’album ne soit pas totalement autistique de ma personne”. Des témoins privilégiés à la création de ce long format, que Renart aura mis “un peu prêt un an” à faire.
Un premier album donc, dont la création s’aborde différemment de celle d’EP : “Je ne voulais pas faire une autoroute techno. Je le voyais un peu comme les albums de rock progressif : tu commences à la chanson une et tu finis à la dernière. Ça a été vachement dur d’arriver à quelque chose de cohérent, et en même temps, avec des matières différentes”. Une entreprise parfois ponctuée de moments “de doutes” ou “difficiles”, qui aura permis au goupil de “laisser libre-court à toutes les autres choses que je fais quand je crée de la musique, mais que je ne peux pas forcément montrer”.
Frangments Séquencés
De cet album, parlons-en. Pourquoi ce titre ? “Je me suis imaginé ce qu’il se passerait, si un jour, on trouvait une partition musicale ancienne sur une exoplanète, et qu’on devait la réinterpréter. D’ou le sens de Fragments Séquencés : c’est une machine qui pourrait lire les Fragments et qui en ferait une réinterprétation libre. Mais, quelque chose de non humain quoi ”. Une démarche empruntée à l’archéologie musicale, qui retrace la vie d’un personnage appelé Singifus Pontifex :
“L’introduction (Cyber-moineaux et Souvenirs miroirs) accompagne l’arrivée du personnage sur la planète. Ces morceaux représentent une certaine forme d’adolescence, il y a quelque chose d’assez naïf. Ensuite le passage de Musette Pénitence à La Prise du Pouvoir, le corps de l’album, représente l’accession de Singifus Pontifex aux hautes fonctions de l’Etat. Ils expliquent aussi, comment le pouvoir le pervertie, le rend cruel, voire même un peu fou. La fin de l’album s’éloigne du personnage pour regarder l’ensemble. Comment, après sa mort, les gens l’ont mythifié, sans vraiment savoir qui il était. ”
Cette histoire s’accompagne d’un univers musical tout aussi précis, qui se balance entre plusieurs horizons, plusieurs périodes. Selon la même organisation décrite plus haut, l’introduction est plus douce, plus lente, et s’apparente à un son, tout droit tiré “du psychédélisme des années 70”. Le corps de l’album, quant à lui, gagne en puissance et en noirceur, à la façon d’une techno industrielle, aux BPM plus élevés.
La dernière partie, plus orientale – particulièrement avec Le Culte de Noire-Vouivre – prend son inspiration dans “une gamme plus indienne”. Une initiative pensée avec le saxophoniste du conservatoire de Paris Axel Rigaud, qui, une nouvelle fois, fait écho à l’histoire : “Dans l’Antiquité, l’Orient représentait déjà quelque chose de mystique et de sombre, en même temps très attractif ”, explique l’artiste.
Et pour la suite ? Renart nous annonce “des projets bien fats” à venir, notamment “une tournée qui commencera sans doute à partir de février ou mars”.
Fragments Séquencés est disponible sur Apple Music.
Renart sera de passage à la Gaîté Lyrique le 27 janvier prochain.
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