Une société secrète à deux : c’est la plus belle définition de l’amour que tracent les lettres de Philippe Sollers à Dominique Rolin. Magnifique.
Philippe Sollers et Dominique Rolin se rencontrent en 1958. Le jeune auteur a 21 ans, l’écrivaine belge, 45. Il vient de publier son deuxième livre, Une curieuse solitude, elle en a déjà écrit huit. Ces deux-là se reconnaissent d’emblée, s’aiment, nouent une complicité intellectuelle qui les soudera pour toujours – malgré le mariage de Sollers avec Julia Kristeva en 1967. Ils ne se quitteront plus, jusqu’à la mort de Rolin en 2012.
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On regrette la décision de publier leur correspondance en deux parties, séparant les lettres de l’un de celles de l’autre. Ce premier volume rassemble donc seulement celles de Philippe Sollers. “C’est que, toi, tu es au centre, avec moi, avec moi quand je suis seul. C’est que je t’aime comme je retrouve ma nature importante, essentielle” (lettre du 20 décembre 1959). A-t-on déjà dit l’amour aussi justement et en aussi peu de mots ? Seule cette communauté à deux, si rare – tellement rare ! –, comme une société clandestine, permet d’être soi-même.
Une fidélité à soi, à une vision programmatique de sa vie
Et c’est ce qui fascine aussi : la façon dont le jeune Sollers annonce déjà ce qu’il sera des décennies plus tard, une fidélité à soi, à une vision programmatique de sa vie (le mensonge pour mieux compartimenter ; la volonté d’une esthétisation de l’existence, etc.).
Interlocution – DOMINIQUE ROLIN – PHILIPPE SOLLERS from PhilippeSollers on Vimeo.
Sollers nous semble tellement contemporain qu’on en oublie qu’il a connu André Breton et Jean Paulhan, et aussi à quel point il fut à la tête des innovations formelles des années 1960 à 1980, avec Le Parc (1961) et Paradis (1981). Ces lettres témoignent de son travail littéraire, mais aussi du temps qui passe.
Si l’intime (l’amour) ne fléchira jamais – même si l’on sent, en creux, une certaine tension du côté de Dominique Rolin quand il épouse Kristeva –, il sert aussi à lutter contre le “dehors”, l’éphémère et le social. “Oui, oui, on a eu raison sur tout, absolument : le retrait, le secret : farouchement, implacablement… C’est l’évidence : le temps est si bref, si long, si invraisemblablement court et long – tout, mais pas cette bouillie qu’ils en font, ce magma sans fibres… Ah, ah, la crise de l’énergie, le pétrole, et maintenant le gaz !”
Lettres à Dominique Rolin – 1958-1980 de Philippe Sollers (Gallimard), 382 p., 21 €
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