John Cage, Rauschenberg, Merce Cunningham : ils ont tous participé à l’utopie artistique du Black Mountain College, créé en 1933. Histoire(s).
Eté 1952. Dans le réfectoire du Black Mountain College, John Cage orchestre avant l’heure – le mot n’apparaîtra officiellement qu’en 1958 dans la revue Anthologist – le premier happening de l’histoire de l’art. Débarqué quatre ans plus tôt avec son acolyte le chorégraphe Merce Cunningham, Cage avait entrepris de rejouer Le Piège de Méduse d’Erik Satie, une comédie lyrique en un acte qu’il fait jouer par Buckminster Fuller et De Kooning. Le Non Title Event de 1952, rebaptisé plus tard Theater Piece No.1, active le même levier collectif. Là encore, chaque participant est invité à jouer sa partition au milieu d’une assistance disposée en étoile.
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Tandis que Cage, perché sur une échelle, entame une lecture à haute voix ponctuée de silences et que Cunningham se met à danser en compagnie d’un chien, Robert Rauschenberg s’improvise disc-jockey sur phonographe et fait défiler ses toiles monochromes au rythme des accords du pianiste David Tudor. Ici, plus encore que la naissance notable d’une pratique, la performance, qui ne cessera d’enfler jusqu’à la fin des années 70, ce qui frappe d’abord c’est la densité au mètre carré, dans une improbable cantine de Caroline du Nord, d’illustres artistes.
Le fantasme de deux professeurs et d’étudiants idéalistes
Cette incroyable concentration, on la doit à l’une des expériences communanutaires et pédagogiques les plus percutantes du XXe siècle. Créé en 1933, l’année même où le Bauhaus ferme ses portes en Allemagne, contraint par la montée en puissance du nazisme, le Black Mountain College est d’abord le fantasme de deux professeurs à l’enseignement dépenaillé et d’une poignée d’étudiants idéalistes. La vie en communauté, l’autogestion et la volonté de s’inscrire dans une réalité rurale (le collège est entouré de montagnes noires qui lui ont inspiré son nom) définissent en partie le projet tel qu’il se conçoit à ses débuts, en pleine crise économique.
Installé en 1941 dans un nouveau bâtiment sur les bords de l’Eden Lake, il connaît son heure de gloire au tournant de la Seconde Guerre mondiale, à l’occasion de sessions d’été mémorables et d’enseignements annuels dispensés par des professeurs qui sont autant de jalons dans l’histoire de la création contemporaine : le peintre Josef Albers, l’écrivain Henry Miller, l’artiste Robert Rauschenberg ou le grand théoricien de l’art Clement Greenberg. Parmi les temps forts du BMC, qui fermera ses portes en 1956, trois summer camps jouent un rôle pivot : celui de 1952 cité précédemment, mais aussi de 1948, qui voit l’architecte Buckminster Fuller, un jour de pluie, élaborer la première version valide de son dôme géodésique, ou celui de 1953, date à laquelle naît la Merce Cunningham Dance Company, qui révolutionne la danse et perdurera jusqu’à deux ans après la mort du chorégraphe en 2009.
Modèle pédagogique hors norme, le BMC a fait depuis des petits. Jusqu’à Los Angeles où, en 2005, les artistes Piero Golia et Eric Wesley créent la Mountain School of Art à l’étage d’un bar trendy designé par le Cubain Jorge Pardo. Dans cette école, raconte l’écrivain Snowden Snowden dans la revue Frieze, « on ne fait pas d’art. On ne le commente pas non plus. On n’écrit pas d’articles ni ne passe d’examens et l’on ne valide aucune UV ». L’art de l’école buissonnière.
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