Fil rouge et cordes d’or du prochain festival Africolor, Ballaké Sissoko publie un appel à la paix au Mali vibrant et virtuose.
Je veux sortir la tradition de la caserne. » La formule paraît maladroite dans la bouche d’un musicien dont le pays vient d’essuyer un coup d’État et l’amputation d’une moitié de son territoire. L’un des problèmes auquel les responsables maliens firent face ces derniers mois n’était-il pas justement d’inciter les soldats du capitaine rebelle Sanogo à regagner leurs casernes ? Le monde de la musique traditionnelle mandingue étant aussi codifié et hiérarchisé que le monde militaire, serions-nous avec Ballaké Sissoko en présence d’un griot putschiste ? Après tout, on pourrait ne voir dans son parcours qu’entorses au règlement et semi-désertions. En treize ans de carrière solo, le joueur de kora âgé de 45 ans, ancien membre du prestigieux Ensemble Instrumental National du Mali qui a couvé tant de talents, a souvent pactisé avec « l’étranger ». Un album avec le minimaliste italien Ludovico Einaudi, un autre avec le Français Yann Tambour et son projet Stranded Horse, des concerts avec l’oudiste electro Smadj, de nombreuses piges sur les disques d’Arthur H, Jean-Louis Aubert, Piers Faccini, Carla Bruni, Keyvan Chemirani – sans oublier Chamber Music, éblouissante conspiration à quatre mains avec le violoncelliste Vincent Ségal, récompensée par une Victoire de la musique en 2010.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pourtant, dès qu’on lui pose la question d’une expédition plus poussée hors de son territoire, Ballaké se cabre : « Pas mon truc ! J’aime jouer avec les Européens mais au fond, ce qui me tient le plus à coeur, c’est révolutionner ma tradition, sereinement. » Une mission remplie avec la délicatesse et la virtuosité qu’on lui connaît, propres à nourrir cet art de la rêverie sonore unique au monde, sur un nouvel album opportunément intitulé, en ces temps belliqueux, At Peace. Un titre qui lui ressemble, lui, l’homme paisible, le griot doux n’aspirant qu' » au calme, à l’harmonie ».
Le troublant enchevêtrement des notes, le chatoiement et la correspondance des tons, le sens de la narration sonore : autant d’éléments qui font de At Peace la nouvelle tapisserie épique de ce maître de la kora, instrument tardif du griotisme, dont les vingt et une cordes font penser à un métier à tisser.
Si Ballaké parle de « révolutionner sereinement » la tradition, ce n’est pas en vain. On y trouve des pièces vieilles de huit siècles comme Badjourou, Kalata Diata ou Kabou, réinventées au gré d’une imagination à fleur de doigts, d’une fluidité technique quasi irréelle.
Mais aussi ce détour par le Brésil avec l’adaptation d’un baião du nordestin Luiz Gonzaga. Et quand son complice Vincent Ségal, qui produit l’ensemble, vient funambuler avec son violoncelle, l’alchimie qui faisait de Chamber Music un rêve musical éveillé opère de nouveau. En solo, en duo, en quintet, At Peace, loin des conflits, loin des combats, c’est l’Afrique réenchantée.
concerts le 7 décembre à Bobigny, le 9 à Bonneuilsur-Marne, le 11 à Paris (104), avec différents musiciens, dans le cadre du festival Africolor
{"type":"Banniere-Basse"}