En forme d’appartement-témoin, l’exposition de Pierrick Sorin à la Fondation Cartier ne tient pas ses promesses et dévoile un artiste fasciné par la technologie.
Vu de l’extérieur, l’appartement que Pierrick Sorin a installé à la Fondation Cartier est sans porte ni fenêtre. À travers le bâtiment vitré de Jean Nouvel, on ne voit qu’une palissade épaisse de préfabriqué, dans laquelle sont encastrés des dizaines de lecteurs de DVD et la face arrière de quelques téléviseurs. Des coulisses discrètes qui ressemblent bien sans doute à la personnalité plutôt renfermée et maladivement timide d’un artiste qui ne recherche pas la surexposition.
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Il y avait donc fort à attendre de cette effraction dans les intérieurs de Pierrick Sorin. Au-dedans, on tire aussitôt quelques conclusions hâtives quant à son habitat, recomposé de manière fictive au 241 boulevard Raspail : peu lumineux, pas de toilettes, plusieurs télés dans chaque pièce. Beaucoup de petits bruits : une pizza tourne sur un vieux pick-up, des écoulements d’eau dans l’aquarium et le long de la cloison, des voix éparses, des écrans qui zappent tous seuls, et un pastiche d’émission-télé qui tourne en boucle dans le petit salon. Peu de meubles au final : surtout un bric-à-brac technologique, un univers essentiellement composé d’installations vidéos, d’images hologrammes, de feux de cheminées virtuels. Comme si l’artiste venait de s’absenter quelques minutes plutôt pour aller chercher sa copine à la gare, laissant tout allumé et en vrac.
En d’autres termes, Pierrick Sorin a déserté son propre appartement sans nous en laisser les clés, et il n’a laissé que les jeux de simulation de l’intimité, nous refusant l’accès à ce chez-soi plus troublé, parfois mal-réveillé, tragiquement bousculé par les incidents du quotidien, qu’il nous avait laissé entrevoir dans ses premiers autofilmages. Ici, il ne reste plus qu’une vaste machinerie d’écrans et de gadgets technologiques. Préférant les effets spéciaux à l’effet de réel, jouant sur la magie facile des images et sur des trouvailles visuelles comme ces trois Pierrick Sorin baignant dans l’aquarium, l’exposition dévoile en fait une fascination totale pour la technologie, et ce malgré les effets d’ironie ou de dérision auxquels s’essaie l’artiste. Ses uvres ne parviennent pas à mettre à distance l’outil technique, ni à se défaire d’un effet high-tech dont elles veulent en même temps profiter, encore moins à élaborer une lecture pertinente de l’univers technologique. De ce point de vue, la parodie ou le vidéo-gag apparaissent davantage comme des lieux ambigus à moitié drôles, des refuges plutôt que des propositions. A l’image du faux 19-20 de France 3, où Sorin, se travestissant en artiste d’Amérique du Sud ou d’Europe de l’Est, et se parodiant lui-même, imagine une vaste commande publique d’art technologique envahissant la ville de Nantes. Sans qu’on sache très bien qui, des nouveaux médias, de l’institution culturelle ou de la sphère médiatique, fait ici l’objet de la moquerie. D’où l’impression d’un film plus douteux que franchement comique.
Enfin, cette exposition où l’on aperçoit des travaux anciens et des installations toutes récentes nous permet de cerner la véritable évolution du travail de Pierrick Sorin : elle consiste, pour l’essentiel, dans une sorte de transfert technologique, passant des petits riens au grand tout, du low-tech bidouillé à la high-quality, du Super-8 autonome ou familial (avec son faux-frère Jean-Loup) à des installations plus spectaculaires, techniquement nickels. Un peu comme on gonfle une vidéo pour lui donner un format cinéma. Dans la dernière salle de l’expo, une myriade de petits autofilmages muets et aux couleurs sépias, où l’artiste met en scène différents moments de la vie quotidienne, sont diffusés sur des moniteurs télés montés eux-mêmes sur de grands socles noirs. Installation techniquement au point, éloge sculptural de l’objet-télé, mais qui nous fait définitivement quitter l’espace de l’habitation et le registre, pourtant revendiqué par l’artiste, du dérisoire. Ici, Pierrick Sorin ne déménage plus : il muséalise son intérieur.
Pierrick Sorin, Fondation Cartier, Paris, boulevard Raspail, tél. 01.42.18.56.51. jusqu’au 27 mai.
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