L’Algérie, la guerre et la France vues par les Algériens : deux jeunes romancières, Alice Zeniter et Kaouther Adimi, explorent méthodiquement les méandres de l’histoire.
Plusieurs romans ont pour thème la guerre d’Algérie en cette rentrée, et on ne s’en plaindra pas. En fait, il était même temps ! Deux surtout, déjà sélectionnés sur la première shortlist du Goncourt et d’autres prix aussi, écrits par des jeunes femmes, Alice Zeniter et Kaouther Adimi, toutes deux nées en 1986.
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Si l’on s’en réjouit, c’est aussi que la première est d’origine algérienne, l’autre est née en Algérie, et qu’il y a, en effet, une joie à voir ainsi une jeune génération s’emparer enfin de son histoire. Laurent Mauvignier, avec Des hommes, et Jérôme Ferrari, avec Où j’ai laissé mon âme, avaient ausculté la guerre d’Algérie du côté des jeunes Français envoyés se battre en Algérie, témoins et/ou auteurs d’atrocités, revenus brisés. Alice Zeniter, dont c’est le quatrième roman, a choisi, elle, de la raconter à travers le vécu d’une famille d’Algériens.
La double tragédie des émigrés
Dans L’Art de perdre, l’auteure montre tous les mécanismes de cette guerre menant une famille kabyle à devenir harkie, parce qu’elle avait choisi (mais avait-elle vraiment d’autre choix ?) de coopérer avec la France contre le Front de libération nationale (FLN), puis obligée de fuir son pays par crainte de représailles sanglantes, pour enfin finir dans un camp de transit en France et dans une cité HLM.
Naïma, une jeune galeriste parisienne, alter ego de l’auteure, va mener l’enquête sur sa famille pour contrer son silence : en effet, elle ne parle pas la langue de ses grands-parents, Ali et Yema, et son père, Hamid, ne lui a rien raconté. C’est là la double tragédie des émigrés : celle d’avoir dû fuir leur terre, leur vie, d’avoir tout perdu, puis de se murer dans le silence, de se retrouver impuissants à transmettre leur histoire à leur descendance – pour que celle-ci “s’intègre” mieux ? Devenue “complètement” française, Naïma “bouche” les trous d’une narration douloureuse, comme l’auteure se sert de la fiction pour reconstituer la vie au pays, toutes les étapes d’une guerre, les injustices faites à un peuple.
Un bon livre, et un livre nécessaire, qu’on verrait bien être récompensé du prix Goncourt
Telle est la force mais aussi la faiblesse de ce roman ample dont on salue l’ambition. A vouloir tout montrer et livrer un récit plein, Alice Zeniter omet de restituer le trouble, dans sa langue ou sa structure, du silence, des non-dits, d’une origine amputée. Dès lors, le lecteur peut se sentir trop souvent à l’extérieur, seulement spectateur du drame qui se joue, narré avec une telle application qu’il en devient parfois froid, évacuant émotion et empathie. C’est dommage, car c’est un bon livre, et un livre nécessaire, qu’on verrait bien être récompensé du prix Goncourt tant il semble être – un peu trop ? – taillé sur mesure pour celui-ci.
Dans Nos richesses, Kaouther Adimi s’empare de l’histoire de l’Algérie, des années 1930 à aujourd’hui, à travers une librairie, Les vraies richesses, fondée en 1936 par l’éditeur d’Albert Camus, Edmond Charlot. L’auteure alterne des extraits – fictifs – du journal de Charlot, avec des chapitres montrant un jeune homme, Ryad, débarquant en 2017 à Alger pour transformer le lieu en échoppe à beignets. Elle oppose ainsi l’importance que l’on accordait encore à l’écrit jadis, à nos temps présents, quand les librairies sont remplacées par restaurants ou boutiques, signes d’une inculture galopante. Mais n’est-ce pas partout pareil ?
Le sort intenable du peuple algérien
Kaouther Adimi, dont c’est le troisième roman, a inventé la fermeture des Vraies richesses et sa métamorphose. Mais pourquoi ? Le projet semble vain, fabriqué, l’écriture trop classique, et les notes du faux journal de Charlot souvent ennuyeuses. Mais l’auteure en profite pour faire passer le message, résumant ici ou là le sort intenable du peuple algérien dans toute sa cruauté, condamné à participer à la Seconde Guerre mondiale, puis à subir une autre guerre, qui le déchirera.
“Nous détestons l’Europe, dont les usines engloutissent nos pères que nous voyons revenir brisés par la privation et la fatigue. Nous nous enrôlons dans l’armée. On nous donne des uniformes et des grands discours. Nous devenons un peu français mais pas vraiment. Nous sommes surtout des tirailleurs, de la chair à canon. On nous impose de combattre pour une nation dont nous ne faisons pas vraiment partie.”
L’Art de perdre d’Alice Zeniter (Flammarion), 512 pages, 22 €
Nos richesses de Kaouther Adimi (Seuil), 216 pages, 17 €
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