« In girum imus nocte et consumimur igni » (« Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu »). Ce palindrome dont Guy Debord fit le titre d’un film peut être lu indifféremment de gauche à droite et inversement en conservant le même sens, comme si l’exacte symétrie des signes recelait une vérité justifiée à la fois par leur forme et leur contenu.
Ma lov’, dernière et remarquable création du chorégraphe Bernardo Montet, en illustre chaque terme en s’attardant sur le « nous ». Si l’on retrouve des figures et des leitmotive récurrents, tels qu’il s’y est cogné dans ses premiers solos - la robe de Pain de singe, l’environnement sonore de la guerre dans Au crépuscule, ni pluie ni vent, le dessin du geste des danseurs tracé à la craie dans Opuscules -, la création est ici une affaire collective à l’instar de Issê Timossé, conçu avec l’écrivain Pierre Guyotat. Cette fois-ci, c’est avec des artistes israéliens que Bernardo Montet a choisi de continuer ce combat dans la nuit. Pas pour donner son avis sur la situation israélienne, fût-il filtré par le tamis de l’art, mais pour faire entendre la spécificité d’artistes d’Israël, partageant avec eux ce métissage intime, substrat de toute sa danse. Peintre, Tamar Getter ne laisse de traces que dans la mémoire de ceux qui assistent à ses sortes de ready-made où des personnages dessinés à la craie engendrent des monstres enchâssés dans le réel, des lettres d’amour où l’ironie triomphe. Les danseurs, avec elle, marquent la finitude du temps humain en traçant des cercles longs comme l’usure d’une craie. La danse avance, à l’aveuglette, le regard bandé par le long tableau noir qui coupe le miroir où se dédoublent les pas, les sauts tremblés, martelés, amplifiés par l’écho de la guitare électrique d’Eran Zur, « le Lou Reed israélien », présent lui aussi sur le plateau. Parfois, il pose sa guitare pour introduire une bande-son qui enfante des images, un montage de la bande de Good morning Vietnam, quarante-huit heures d’enregistrement de fusils, de voix, de chants, de bruits de la jungle et des rues de Saigon, utilisées comme thérapie pour les soldats au retour des batailles. On finit par se dire : l’identité, à partir de quand ça devient une violence pour l’autre, moi compris dans cet autre ? In girum…
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