Avec son film qui présente une Chine puissante et protectrice des Africains contre les vilains Occidentaux, Wu Jing a fait exploser le box-office mondial. Portrait de ce héraut du patriotisme chinois.
“J’ai juste pris une allumette et enflammé le patriotisme des gens en une étincelle”, confiait Wu Jing à propos du succès historique rencontré par son film, Wolf Warrior 2. Mais plutôt qu’à l’allumette, c’est au chalumeau que le réalisateur a embrasé le patriotisme chinois.
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Le pitch est simple : le héros (joué par Wu Jing), un ancien des forces spéciales chinoises est en Afrique. Sur place, il découvre des populations martyrisées par de méchants mercenaires occidentaux. Coup de bol pour les Africains dépassés par la situation, le Wolf Warrior va prendre les choses en main. La recette n’est pas plus compliquée : explosions, courses poursuites, cascades, humour et patriotisme exacerbé. Le tout résumé en une phrase : « Quiconque offensera la Chine sera traqué, peu importe que la cible se trouve à l’autre bout du monde. »
A la clef, plus de 780 millions de dollars de bénéfices et une entrée dans le top 100 des plus gros succès du box-office mondial, performance inédite pour un film non anglo-saxon. Le tout grâce au public chinois.
« Il a manqué le coche des films de kung-fu »
A 43 ans, pour son troisième film en tant que réalisateur, Wu Jing a tapé fort. Ce Pékinois d’origine est surtout connu pour ses rôles dans des films d’arts martiaux. Dès 6 ans, il est formé au wushu dont il devient vite expert. Il intègre l’équipe de la capitale chinoise avant d’être repéré, en 1995, par un chorégraphe de cinéma. Il commence alors une carrière à Hong Kong. Parallèlement, il apparaît dans quelques séries télés chinoises qui lui conféreront une petite notoriété.
Mais il est loin d’engranger le succès national et international de ses ainés tels que Jackie Chan ou Jet Li. « Plus jeune qu’eux, il a manqué le coche des films de kung-fu », explique Alexandre Claeys, rédacteur en chef du site Ciné-Asie. Wu Jing se dirige alors assez rapidement vers les block busters à l’américaine. Il fait une tentative hollywoodienne en 2008, avec une petite apparition dans La Momie, la tombe de l’empereur dragon. Sans suite. La même année, il signe son premier film. Sorte de thriller d’action hongkongais qui remporte un succès tout relatif.
Un nationalisme encouragé par le gouvernement
Parallèlement, la Chine émet à cette période des recommandations internes visant à mettre l’accent sur le soft power. Celui-ci passe évidemment par un cinéma qu’il faut dynamiser. L’acteur s’engouffre dans cette brèche.
« Le succès de Wu Jing et de son film provient de plusieurs éléments, analyse Flora Licha, auteure d’une thèse à l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales) sur le cinéma documentaire chinois. D’une part, une politique gouvernementale qui vise à concurrencer les films hollywoodiens avec des superproductions autorisées par la censure et d’autre part, un nationalisme fortement encouragé par ce même gouvernement. »
A partir des années 2010, aux films de propagande « pure et dure » se substitue un mélange des genres. « C’est la politique de la ‘mélodie principale’, explique Flora Licha. Le gouvernement a la volonté de brouiller les frontières entre les films de propagande et les productions privées. Wolf Warrior 2 est clairement le fruit de cette politique. » Installé dans ce créneau, celui qui n’avait qu’une aura d’acteur gagne ses galons de réalisateur. D’abord avec Wolf Warrior 1 qui remporte l’aval du public et, dans une tout autre mesure, avec cette suite qui explose toutes les prédictions.
« Chuck Norris mélangé à Rambo »
A la différence d’acteurs comme Jet Li ou Donnie Yen, Wu Jing joue la corde patriote depuis longtemps. Lors du séisme qui touche la région du Sichuan, en 2008, il se met en scène apportant du riz et autres denrées aux enfants victimes. En 2013, il se marie avec l’animatrice de télévision Xi Nan. A cette même période, il utilise de moins en moins son surnom « Jacky Wu », préférant son vrai prénom Wu Jing. Si l’on y ajoute ses deux opus Wolf Warrior mettant en avant la grandeur de la Chine, on obtient le cocktail parfait pour séduire le public de l’empire du Milieu.
« A priori, il joue clairement du patriotisme, estime Flora Licha. Il s’inscrit dans ce système qui n’existait pas avant et doit y trouver son compte. Après, ce qu’il pense vraiment lui appartient. »
Pour Alexandre Claeys, son film est « du Chuck Nurris mélangé à Rambo », eux-mêmes fervents ambassadeurs du soft power à l’américaine. Selon le critique cinéma, « c’est un film de propagande comme il y en a eu du côté d’Hollywood. Wu Jing sait ce qu’il doit montrer pour avoir le visa d’exploitation« .
Wu Jing, Captain America et la Chine
Wu Jing, pas en mesure de s’exporter à l’international comme l’ont fait quelques-uns de ses pairs, se serait donc tourné vers le public chinois pour briller. Jusqu’à embrasser les desseins politiques du pays ? « En tous cas, avec la stratégie qu’il adopte, c’est compliqué d’avoir du succès à l’étranger », pense Flora Licha. D’autant que le film a clairement pour objectif de légitimer l’action d’une Chine de plus en plus présente en Afrique. On y voit des Chinois aidant sincèrement des Africains (les gentils patrons sont tous chinois dans le film) sans les exploiter.
« La Chine peut désormais contenter un acteur et un réalisateur, assure Alexandre Cleays. C’est un marché tellement énorme que ça suffit. » Les producteurs américains ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, adaptant de plus en plus leurs films aux attentes d’un public chinois extrêmement friand de superproductions.
Wu Jing, quant à lui, n’a pas hésité à s’entourer de la fine fleur du blockbuster pour Wolf Warrior 2. Au sein de son équipe, dans le rôle des consultants, on retrouve les « Russo Brothers », réalisateurs américains chevronnés, auteurs entre autres de… Captain America. Et du côté des financeurs, le géant chinois du commerce en ligne, Alibaba.
« Il joue dans la cour des grands »
Outre des scènes d’action à outrance et un patriotisme brossé à la pelleteuse, le film a bénéficié d’un calendrier très propice puisqu’il est sorti au début du « summer black out », période où la Chine interdit toute production cinématographique étrangère. Or dans l’Empire du milieu, sur des sujets aussi sensibles, rien n’est laissé au hasard.
« Pour faire un aussi gros blockbuster, il faut évidemment l’aval des institutions chinoise », affirme Kristian Feigelson, sociologue du cinéma et de l’audiovisuel à l’université Paris III – Sorbonne Nouvelle. Wu Jing joue dans la cour des grands, il doit forcément faire des compromis. »
Le chercheur résume le rôle que s’est forgé la nouvelle star chinoise qui a définitivement changé de dimension. « Il marque cette nouvelle Chine. Celle où l’individu est le héros de son propre destin, piloté au service de la communauté. »
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