A Dar es-Salam, coeur brûlant de la Tanzanie, Jagwa Music réinvente l’electropunk, bricolée sur un Casio arrosé d’alcool à 80°. A consommer cul sec. Critique.
Amateurs de l’extrême, baroudeurs du no future, Indiana Jones de l’Apocalypse, un pays vous tend les bras : la Tanzanie. Bien sûr, pas celle des safaris en Land Cruiser à l’ombre du Kilimandjaro auxquels invitent les dépliants touristiques. Non, celle des quartiers dits “déshérités” de Dar es-Salam, capitale économique du pays, où au moindre faux pas vous risquez d’attraper le tétanos et d’être égorgé.
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Comment imaginer terrain à explorer plus incertain, plus excitant ? Un exemple : dans certains shebeens (bars), on peut trinquer au piwa, un alcool à 80° coupé avec de l’insecticide. Pour attester de l’authenticité du produit, le patron en verse un peu à même le comptoir avant de l’enflammer avec une allumette. A votre santé ! Pas sûr que Le Guide du routard fasse mention de ce type de rades dans sa rubrique “Où sortir ?”. Pas sûr non plus qu’il invite ses lecteurs à emprunter un des nombreux dala dala, ces minibus qui sillonnent la ville à tombeau ouvert en laissant derrière eux une traînée de décibels tout aussi inflammable.
Pourtant, c’est le meilleur moyen de se déplacer, d’aller au contact de la population (les bus sont tellement bondés que les usagers voyagent incrustés les uns dans les autres) et de se familiariser avec le fait musical du moment : le “mchiriku”. La plupart des dala dala sont conduits par des deiwaka, des chauffeurs sans licence recrutés parmi la jeunesse désoeuvrée. Les deiwaka sont parfois de mèche avec les manaba, les petites frappes qui arraisonnent les véhicules pour dépouiller leurs passagers.
Quand vous prenez un de ces taxis au hasard d’une rue, trois options s’offrent à vous : 1) vous arrivez à destination, 2) vous finissez en slip sur un terrain vague, 3) vous atterrissez comme par magie au milieu d’une party où un groupe de mchiriku chauffe à blanc un quartier noir de monde. Une sono de fortune alimentée par un câble relié par du ruban adhésif à un poteau électrique suffit à transformer une sinistre fin de soirée en boum inoubliable.
Si la chance est avec vous, le mec qui vous a conduit là appartient à Jagwa Music, l’ensemble qui fait très très fort en ce moment. Formé il y a une vingtaine d’années, les Jagwa (leur nom vient du Jaguar, l’avion de chasse français) sont un peu les Stooges du mchiriku. Leurs textes, c’est l’esprit “search and destroy” transposé dans la jungle urbaine africaine : “On nous appelle les maîtres du chaos/On nous appelle les fouteurs de merde/Et c’est vrai !/Quand on déboule sur scène c’est pour y foutre le feu !”
Le mchiriku, d’un minimalisme ravageur, combine percussions nomades et électronique préhistorique, en l’occurrence des Casio de la première génération appelés kinanda (boîte à musique). Rythmiquement, on flirte avec les 180 bpm du “shangaan electro” sud-africain. Autant dire que pour danser ça, mieux vaut avoir une bonne condition physique. Quelques rasades de piwa vous transformeront à coup sûr en Fred Astaire du mchiriku.
Pour s’en faire une idée, il faut essayer Bongo Hotheads, l’album de Jagwa Music que vient de publier Crammed Discs. C’est vigoureux, électrisant, ludique. Un livret propose la traduction de leurs paroles, véhémentes, amères, jusqu’au-boutistes, les mots d’une jeunesse qui n’a plus rien à perdre. A Dar es-Salam, où les Jagwa sont des héros, tout le monde connaît leurs textes par coeur. Et pour cause : les paroles sont peintes sur la carrosserie des taxis-bus.
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