Le journal du festival, par Serge Kaganski. Mercredi 9 mai, tard la nuit, en fait jeudi 10 au petit matin.
Ça y est, j’ai pas tapé deux mots que je me demande déjà pourquoi j’ai accepté de tenir ce journal quotidien. Qu’est-ce que je vais bien raconter tous les jours ? Ce truc, c’est bien pour un Bonnaud, avec sa faconde méditerranéenne, son goût de la tchatche, sa propension légendaire à transformer le moindre micro-évènement en feuilleton à rallonge. Tavernier éternue ? Nicole Kidman sourit aux caméras ? Frodon se mouche ? Pas de problème, Bonnaud vous en écrit tout un numéro de Gala. Mulet aussi est bon dans cet exercice : rien que ce soir, il a lâché suffisamment de vannes pour que je puisse tenir trois jours mais je les ai déjà toutes oubliées. Pour être aussi drôle, aussi prolifique (et aussi con) que lui, il faudrait au moins que je picole autant que lui – c’est-à-dire que je décuple ma consommation moyenne. J’y arriverai pas cette année, me suis pas assez entraîné.
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Dans l’avion, lu la presse du jour. Sommet incontestable de cette revue express, l’entretien de Godard dans L’Equipe. Pourquoi Godard parle-t-il mieux de cinéma quand il parle de sport ? Et pourquoi donne-t-il sa meilleure interview de l’année à un quotidien sportif ? Une partie des réponses sont dans l’entretien même.
Le premier jour du festival, c’est toujours la même routine un peu molle, la même ambiance de faux départ. S’installer, aller chercher ses accréditations (là, je mens un peu, étant logé VIP, mon paquetage de festivalier est livré à mon hôtel avant même mon arrivée), aller voir le film d’ouverture, le seul de la journée (faut en profiter, après, c’est un déluge filmique ininterrompu pendant dix jours), trouver le film nul à chier. Petite variation cette année, mes camarades ont estimé que Moulin rouge est un ratage intéressant, le meilleur film d’ouverture depuis longtemps (ce qui n’en fait pas un chef-d’ uvre, on l’a compris). Luhrman n’est pas le seul à avoir un peu raté Moulin rouge, moi aussi je l’ai raté, et complètement.
J’étais pas à la plage en train de buller mais en interview avec Marc Recha, Catalan gauchiste et remarquable cinéaste, ce qui m’a permis aussi d’échanger quelques mots avec son actrice, l’excellente et sympathique (et mignonne) Nathalie Boutefeu.
Avant ce premier travail, je suis allé faire mes courses au supermarché Champion (lames de rasoir, bouteilles de flotte pour les longues nuits devant le Mac) J’aime bien cette traditionnelle visite chez Champion le premier jour : côtoyer les Cannois de tous les jours, voir les vrais gens, baigner dans la lumière glauque et violente des néons, écouter les annonces de promo sur les Pampers, faire la queue Champion, c’est la dernière station dans le monde réel avant de s’immerger dans la Bulle festivalière, dans cet univers snob, pailleté, champagnisé, azuré, climatisé, dans cet espace-temps gouverné par les trois F (Films, Fêtes, Fatigue) où se dissolvent complètement les inondations de la Somme, les grumeaux sociaux de Danone, les résultats de foot et même, avec un peu d’espoir, les ratiocinations épuisantes sur Loft Story.
Dans ce minuscule territoire entre vieux port et Martinez, voie rapide et Méditerranée, juridiction dont Eric Dahan serait l’attorney general, le monde disparaît, le festival et les films prennent toute la place, la futilité règne. Au début, ce phénomène étrange est fascinant, au bout de quelques jours, il devient fatiguant, et à la fin, tout bonnement insupportable. Aujourd’hui, je suis tout frais, tout neuf, tout content d’être là, je fais encore le malin. Dans dix jours, je ne supporterai plus la vue d’une coupe de champagne, la sonnerie du portable ou l’idée d’une projo. Et je ne vous raconte même pas dans quel état sera Bonnaud (liquéfié de fatigue et à bout de nerfs) ou Mulet (au bord du delirium tremens). Il sera intéressant d’observer l’évolution du comportement d’Ostria : ce devrait être une passionnante expérience anthropologique.
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