Le journal du festival de Cannes, par Serge Kaganski. Dimanche 13 mai, comme d’habitude, tôt le matin.
Y a des jours comme ça. Des journées de merde où on aurait mieux fait de rester au pieu. Ce que j’ai d’ailleurs commencé par faire en loupant la projo de 8 H 30 de Shrek. (Fevret, t inquiète pas, Bonnaud et Ostruche y sont allés). Ensuite, je me suis quand même levé à 9 H 30 pour pas rater le Claire Denis. Vous allez dire, ben quoi, 9 h et demi, ça va, c’est quand même pas le bagne. Oui, sauf que, souvenez-vous des épisodes précédents, je me couche en moyenne vers 4 h du mat. Bref, j’arrive pas frais au Palais (tiens, ça rime), je galère pour trouver la salle Buñuel, salle inhabituelle située tout en haut du dédale d’escaliers et d’étages du bunker, je m installe. 11 h, rien. 11 h 10, toujours rien (les projos cannoises débutent toujours à l’heure prévue pétante). 11 h 15, un type vient nous expliquer que pour des raisons techniques, la copie sera un peu verdâtre, mais que ça va débuter illico presto. Un critique italien marrant crie ?ma, verdâtre, c’est souperrr, ecco ! !?.
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11 h 16, toujours rien, Jean-François Rauger se crispe. 11 h 18, le kop de Buñuel commence à chauffer, les plannings prévus s’écroulent comme les fragiles échafaudages de dominos qu’ils sont. 11 h 19, le type revient nous dire que la projo est définitivement annulée. La copie restera verdâtre, tendance invisible. Groumpf ! Pour achever de me mettre de mauvaise humeur, ça fait deux jours que je me traîne un rhume/mal de gorge sans doute dû à la clime. Maladie de luxe. Mais la foutue journée n’est pas terminée. En attendant le Coppola de 13 h (le Roman, pas le Francis), j’achète une recharge Mobicarte à 250 balles pour mon portable (c’est la légendaire organisation Inrocks ? bien que maqués avec Mobicarte, ils ont pas été foutus de nous fournir des recharges avant notre départ).
Bref, je programme ma recharge, je fais tout comme y disent et ma ligne reste bloquée. Moi qui comptait profiter de ce rare temps mort pour répondre à tous mes messages, booker des rendez-vous, planifier l’attribution des papiers, appeler ma maman, à la place, je passe trois quarts d’heure à m’engueuler avec les opératrices Mobicarte. Quand mon portable s’est enfin remis à fonctionner, c’était l’heure du Coppola. (Roman, pas Francis). Merci MOBICARTE ! Et comme dirait la Mule, allez vous faire traire !
Pendant le Coppola, (Roman, pas Francis), nouveaux problèmes techniques : sautes de son pendant vingt minutes (à Cannes, il n’y a quasiment jamais de problèmes techniques). Si un jour vous voyez le film, CQ, vous comprendrez pourquoi j’arrête pas de dire Roman, pas Francis.
Je me console avec le beau film d’Yves Caumon, puis je boude le film inuit de trois plombes (ils ont dû prévoir un entracte pour les esquimaux, pouf pouf) pour rentrer bosser (et faire une sieste aussi indispensable que méritée).
L’après-midi, il paraît qu’il y a eu une émeute devant le parvis du Noga Hilton. Arrivée inopinée de Tom Cruise ? Zidane à Cannes ? Retour de Vandel & Gaume ? Signature d’autographes de Jacques Rivette ? Non, vous n’y êtes pas : présence de David. David ? Ben oui, David, enfin quoi, la Loft scorie. Mais qu’est-ce qui fait courir derrière David ? ? ? Un badaud aurait même gueulé à un sympathique touriste américain qui passait là ?eh, le gros barbu à lunettes, casse-toi, tu gênes, on voit pas David?. Le gros barbu était paraît-il cinéaste, un vrai loser, avec un nom italien, Chocola, Tombola, Motorola, quelque chose comme ça, on a pas bien entendu.
Le soir, je décide d’aller à la teufe du film Le Pornographe de Bertrand Bonello organisée conjointement par Haut & Court et Marc Dorcel au Palm Beach. Car comme le dit toujours mon ami Mulet, ?Kagan, avant d’écrire ton journal, faut que tu vives des trucs?. Mon Mulet va aujourd’hui beaucoup mieux. Je le retrouve tout pimpant, en costard à rayures, faisant l’entrée du Palm Beach. En tant que vieux copain de Bonello, c’est lui qui filtre et on dirait qu’il a fait ça toute sa vie. ?toi, le petit, t’as une invite ? Non ? Tu passes pas !? Le petit, c’était Prince (j’écris Prince, à l’ancienne, parce que je sais pas taper le signe du Symbol).
Mulet me dit : ?Ce soir, il y a une grande vague d’immigration des pays de l’Est au Palm Beach. C’est bourré de Hongroises, de Yougoslaves, de Tchèques?. Ben oui, c’est rempli de hardeuses. Et de hardeurs. Mon ami Mulet n’aime pas beaucoup les hardeurs : ?moi aussi j’ai une grosse bite, et alors, j’en fait pas tout un plat !?. La teufe, pas de quoi non plus en faire un plat : pas de cul, pas de bacchanales, pas de quoi rester dans les anals. C’est juste plus bondé, plus froid et plus vulgaire qu’une teufe normale . Mulet, très philosophe : ?T aimerais tirer une hardeuse ? Ah non, vaut encore mieux tirer un labrador. Femelle?. Il note aussi, à juste titre, ?qu’une fête où on se touche pas un peu le cul ne peut pas être une fête très réussie?.
Avec notre petite bande (un peu mou), Marchais, Musitelli, Agnès de la Thèque, Bonnaud, la Mule, Nicklaus, on s’est réfugiés au calme vers une table de la plage. Je cause avec Bonello, garçon sympathique et intelligent qui me parle de Léaud avec des étoiles dans les yeux. Léaud est assis à la table à côté, impeccablement sanglé dans son smoking, manifestement heureux d’être là et surtout d’avoir fait ce film. Jipé des Inno, Lefort, Péron, Lalanne, Larcher, Dieutre, Mandelbaum, Rigoulet nous ont rejoints.
Mulet parle journalisme avec Rigoulet de Télérama. A 1 h 12, Mulet est prêt à serrer Rigoulet dans ses bras : ?on aurait du prendre des mecs comme toi comme rédac’chef aux Inrocks?. A 1 h 15, il est prêt à l’insulter : ?qu’est-ce que t es allé foutre à Télérama ? T es allé chercher le confort, la routine, la sécurité, c’est ça ? Ah, putain, tu me déçois ! !?. Et moi, sans Mulet (mon ami), je sais pas comment je remplirais ce journal.
A 2 h, on décide que ça suffit et qu’il faut aller à la fête Claire Denis, dans une bastide à vingt bornes de Cannes. Ouh là là, mais c’est que j’ai encore mon journal à écrire, moi, vous êtes marrants. Ta gueule, Kagan, tu viens et tu discutes pas ! ! L’Espace Inrocks est coincée par les Mercedes à 400 000 balles des producteurs pornos. Avec son sens de la diplomatie et sa délicatesse coutumières, Mulet gueule ?c’est à qui la Merde à 400 000 boules ? ! ??. Finalement, on finit par décoincer du Palm Beach, mais en route, on apprend (magie SFR) que la fête Denis sent le sapin. Je laisse mes camarades se finir à la pizza et je rentre me coucher, non sans avoir scrupuleusement consigné ces faits essentiels, pour toi, rien que pour toi, ô mon ami(e) internaute.
Demain, Monfourny arrive pour prendre le relais de Mulet. Ce journal va devenir sérieux. Et chiant.
Comment ça, il l’était déjà ?
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