Avec un sixième album à dominante électronique, le trio américain Liars se réinvente une nouvelle fois et domine avec style sa peur de la routine. Critique et écoute.
Julian Gross n’a pas vu le temps passer. Lorsqu’on lui rappelle que son groupe a largement franchi le cap des dix années d’activité, l’amusant batteur des Liars sursaute : “Dix ans ? Mais quel âge j’ai alors ?” Tout juste s’il ne nous traite pas de menteur. Il faut dire que le temps n’a pas beaucoup de prise sur le trio américain, formé à l’orée des années 2000 et qui n’a cessé de se réinventer indéfiniment en abordant chacun de ses albums avec un état d’esprit entièrement réinitialisé. “Je ne nous considère pas comme un groupe, renchérit le géant Angus Andrew, chanteur et guitariste. Nous n’avons jamais cherché à capitaliser sur un style ni sur un concept unique. Ce qui nous anime, c’est d’aller toujours dans la direction opposée à celle de la veille. On s’ennuie très vite, procéder ainsi est notre seul espoir de survie.”
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Démonstration avec WIXIW, sixième album dont le titre en forme de palindrome ésotérique signifie phonétiquement “wish you”. Un disque a forte dominante électronique, conçu quasi uniquement à l’aide d’ordinateurs quand son prédécesseur, l’impressionnant Sisterworld, reposait sur une variété de textures organiques et naturelles empreintes d’un lyrisme un peu inhabituel chez les Liars. Avec cet album, le groupe revenait sur ses terres d’origine, à Los Angeles, après avoir conquis New York et la bouillonnante scène de Brooklyn du début des années 2000 puis choisi l’exil européen en direction de Berlin à la fin de la décennie. Autant de mouvements qui ont contribué un peu plus à brouiller les pistes et à user parfois les patiences.
Hâtivement catalogué néo-post-punk à l’origine, dans le même wagon bondé que Radio 4, The Rapture ou Yeah Yeah Yeahs, les Liars faisaient de cette étiquette un tas de confettis dès leur deuxième album, l’agressif et extrême They Were Wrong, So We Drowned (2004) qui désorienta les hipsters mais rassura sur les intentions réelles du groupe de ne pas devenir un énième clone anachronique de Gang Of Four, Wire ou Delta 5. Depuis, les Liars ont donc suivi un chemin singulier, assouplissant légèrement leur propos avec Drum’s Not Dead (2006) et Liars (2007) mais sans jamais chercher à séduire plus que de raison. L’écoute de WIXIW les révèle pourtant cette fois plus calmes et posés que jamais, parfaitement à leur aise dans ces climats flottants, presque zen bien que traversés des habituelles convulsions qui ont fait la marque du groupe.
Sisterworld avait pour sujet Los Angeles et la tension souterraine d’une ville dilatée géographiquement et ultradépressive malgré ses dehors hédonistes. Celui-ci, selon Andrew, est entièrement tourné vers l’intérieur, à l’abord de territoires intimes, des contradictions affectives et créatives du groupe lui-même. “Le sujet, c’est le désir et l’absence de désir qui peut naître en même temps, d’où l’utilisation du palindrome. Notre désir de changer en permanence est aussi le résultat de cette insatisfaction perpétuelle. Cette fois, nous nous sommes coupés du monde en enregistrant seuls dans une cabane perdue dans les bois. Nous ne voulions subir aucune influence musicale extérieure. Même lorsque nous avons regardé la finale de la NBA, nous avons enlevé le son des pubs pour ne pas entendre de musique. Notre démarche a d’abord consisté à créer des sons électroniques, majoritairement abstraits, et à bâtir ensuite des chansons à partir de ce catalogue.” Le groupe a tout de même sollicité l’aide de Daniel Miller, le patron de leur label Mute, pour programmer les machines et dompter des logiciels dont ils ne possédaient pas la maîtrise.
Curieusement, on entend en arrière-plan des chansons l’influence des premiers artistes Mute des années 80, un peu de Depeche Mode et beaucoup de Fad Gadget (A Ring on Every Finger), digérée toutefois dans des compositions chimiques propres aux Liars, à leur manière de faire circuler leur musique dans l’espace et de s’affranchir des codes industriels de la pop. A ce titre, WIXIW est une sorte de cousin du King of Limbs de Radiohead, qui s’appropriait des éléments du dubstep avec pas mal d’intelligence et de finesse.
Les Liars intègrent ici du dub industriel façon PIL ou là des armatures techno (Brats) tout en conservant, loin des cumulus de guitares et des giboulées rythmiques habituels, leur force intérieure, parfois décuplée car d’apparence plus sournoise. “Nous faisons des albums comme d’autres du camping, conclut le bassiste Aaron Hemphill. On s’installe dans un endroit inconnu et on commence à organiser l’espace en fonction du terrain, de l’environnement. Nous sommes les trois éléments immuables, tout le reste est à construire.”
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