Le king du naturalisme social à l’anglaise s’offre une récréation avec une comédie d’arnaque.
Pour le meilleur et le pire, rien de neuf sous la grisaille socialo-brit de Ken Loach. Comme toujours, le réalisateur voit le monde coupé en deux, entre dominés et dominants, ce qui est sommaire mais politiquement exact.
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Mais ce qui différencie (entre autres) Loach des frères Dardenne (qui coproduisent La Part des anges), c’est que les Belges croisent toujours la fracture sociale avec des dilemmes moraux, injectant du jeu et de la dialectique qui rendent leur univers plus complexe (et plus proche
du monde tel qu’il est) et leurs films héritiers de la tragédie grecque.
De son côté, l’Anglais superpose social et morale au lieu de les croiser, selon une approche tautologique où les opprimés sont complexes, nuancés, sympathiques, et les oppresseurs vils, aboutissant à une vision dichotomique (plus proche du monde tel qu’on le rêverait).
Chez les Dardenne, une victime du système social n’est pas forcément un saint ni réductible à sa dimension victimaire, les personnages sont à la fois sympathiques et antipathiques, et leur sort est la résultante d’un inextricable amas de causes et d’effets où se mêlent raisons sociologiques et individuelles, le tout enjoignant le spectateur à réfléchir avant de porter un jugement.
Chez Loach, c’est plus simple, confortable et rassurant, comme dans un conte, un match de foot ou un épisode de Guignol : il y a les bons (les prolos) qu’il faut soutenir, supporter, au sens équipe de foot, les méchants (la bourgeoisie, les instances de pouvoir, bouhouhou !), et les premiers remportent la partie à défaut de gagner la lutte finale.
Le match de La Part des anges met donc aux prises un petit groupe de prolos, délinquants, au bord de la rupture sociale (applaudissements !) avec le milieu très sophistiqué des grands whiskys où les bouteilles se négocient à trois ou quatre chiffres (sifflets !). Le point de contact s’opère par Robbie, jeune père de famille bagarreur, qui se découvre un goût et un “nez” pour l’or liquide écossais.
Le match est a priori inégal (la très vieille loi de David et Goliath) mais Robbie va mettre au point une tactique rusée (et s’autorisant quelques libertés avec la légalité) pour percer les défenses en béton de la grande bourgeoisie et lui planter un beau but en or.
De même que certains tord-boyaux bas de gamme glissent mieux dans le gosier coupés à l’eau ou au Coca, les fables manichéennes de Loach passent mieux par la comédie que par le drame.
Disons que Loach nous touche plus quand il est modeste et rigolard que quand il se fait solennel et grave. Quand on veut faire passer un message, surtout quand le message est archiconnu, rebattu et simpliste, l’humour est préférable à l’esprit de sérieux.
Ici, ça passe d’abord par cet extraordinaire accent écossais qui empeste le malt et le houblon à quinze kilomètres (à tel point qu’à Cannes le film était sous-titré en anglais !) et qui sonne comme le pendant british de l’accent ch’ti ou de la tchatche franco-arabe de nos cités.
L’humour, ça commence aussi par savoir rire de soi-même. La bande de pieds nickelés qui monte ici son arnaque au whisky se balance d’abord moult vannes (notamment à travers un hurluberlu chauve et bigleux qui fait le sympathique abruti de service façon Averell Dalton ou José Garcia dans La vérité si je mens) avant d’aller ridiculiser les millionnaires du whisky-business.
Pas toujours bien écrit (le film met du temps à cerner son sujet dans une première partie laborieuse et plus alambiquée qu’une distillerie), bien dialogué et bien joué, mis en scène platement, obéissant à un programme breveté “public dans la poche” (les petits niquent les puissants), La Part des anges n’est ni indispensable ni honteux, resucée tardive des comédies populaires italiennes des années 50. Mais à l’époque du Pigeon et de Monicelli, les prolétaires allaient en salle voir ces films où ils pouvaient se reconnaître et rigoler d’eux-mêmes.
Aujourd’hui, l’essentiel du public de Loach serait plutôt bourgeois et cinéphile (on est prêt à parier que ce film fera plus d’entrées à Paris que dans les banlieues de Glasgow) et la morale ouvriériste de ses films sert surtout à soulager sa bonne (ou mauvaise) conscience.
La Part des anges prouve une fois encore que si Loach est un citoyen fortement engagé à gauche, il demeure un réalisateur extrêmement conservateur et prévisible.
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