Adaptation réjouissante de la vieille série de flics teenage, métamorphosée ici en comédie romantique entre potes.
Avoir 18 ans en 1990, c’était regarder Madame est servie sur M6 à midi, et 21 Jump Street sur TF1 à 18 heures. Soit déjeuner devant les chamailleries d’une mère divorcée avec un baby-sitter musclos et goûter devant les liaisons fiévreuses de jeunes gens – bref, un pied dans la famille, un pied dans l’émancipation, un doigt de charme mutin, un doigt de noirceur.
La série lancée par le prolifique Stephen J. Cannell fonctionnait sur un principe policier – l’infiltration –, un trouble – le mélange de jeunes adultes et d’adolescents – et un paradoxe – est-ce tout un monde ou à peine une nuance qui sépare un ado d’un jeune adulte ?
Cette dernière et irrésolue question s’incarnait sous les traits de Richard Grieco (ah ! l’arc ténébreux de ses sourcils) et de Johnny Depp lui-même, qui fit là ses premiers pas frondeurs.
Que ces jeunes flics torturés aient pu être des amis rêvés trouva même à s’illustrer dans un film, Une nuit au Roxbury de John Fortenberry, où Richard Grieco joue son propre rôle face à un fan (l’hilarant Chris Kattan).
Vingt ans après, voici donc la série devenue film. Deux jeunes flics qui se connurent au lycée et que tout oppose (l’un est le gros loser – Jonah Hill –, l’autre est le beau winner – Channing Tatum) se retrouvent dans la même brigade à la mission ressuscitée : infiltrer un lycée pour démanteler un réseau de drogue.
Le film commence de manière catastrophique, se vautrant dans un cynisme grossier ni fait ni à faire (il faudrait virer tous ces monteurs du cinéma commercial américain qui ont des truelles à la place des mains) théorisé par un des personnages : “Ouais, on va recycler un truc du passé, ça sera de la merde et tant pis pour votre gueule” (sic).
Une fois les briques mammouthesques lancées, le vrai film commence – soit le retour dans le monde de l’adolescence de jeunes adultes pas si vieux mais plus si jeunes.
Une manière généreuse de voir large fait feu de tout bois, avec par exemple une galerie de personnages atypiques : la fille convoitée est étonnamment grassouillette et intelligente (ça nous change des filles de Projet X), le prof de gym est machiavélique (Rob Riggle), le dealer est un élève brillant à la Bret Easton Ellis (Dave Franco, le frère de James), etc.
Ou encore, les gags gracieux (l’écolo qui chante) s’enchaînent à des séquences vrombissantes, le film trouvant au final dans ce mixage de diverses vitesses son rythme de croisière.
Si les plus beaux films du retour dans le passé s’accordent avec la lenteur de la mélancolie (regarder les scènes comme déjà prises dans la perspective du souvenir), celui-ci choisit au contraire de creuser la dinguerie frénétique, bref d’approfondir jusqu’à l’os la jouissance d’un présent enfin glorieux dont on a été privé dans un passé famélique.
C’est à Jonah Hill qu’échoit cette seconde chance, tandis que son copain le beau gosse fait le chemin contraire.
Cette trajectoire inverse – le loser devient un winner, le winner un loser – ne s’accompagne heureusement pas d’une leçon de vie punitive mais du souci d’accompagner les personnages jusqu’au bout. Car le film ne raconte pas seulement un retour, mais aussi la naissance d’une amitié qui culmine lors d’une chaotique représentation théâtrale de Peter Pan, où les deux amis-ennemis règlent leurs comptes, comme un secret écho du Deux en un des frères Farrelly.
Enfin, ce film a un coup de génie. L’infiltration, moteur policier et existentiel du projet, redouble sur elle-même lorsque Johnny Depp fait irruption.
Il est plus beau que jamais, une fatigue âpre marque son visage, il jette son faux nez par terre et il éructe, animé par une mélancolie déchaînée qui nous saisit à la gorge – si tant est qu’être acteur, c’est arracher
à l’infini ses postiches et s’engouffrer dans le temps perdu.
M. Depp, qu’avez-vous fait toutes ces années ?