William Essef, alias Bamao Yendé électrifie la nouvelle scène club française. Organisateur de soirées, DJ et patron du label Boukan Records, le jeune homme a deux obsessions : distribuer de bonnes vibes et continuer à rêver.
Sa journée risque de finir tard. Ou très tôt le lendemain. Quand on le rencontre entre les places Blanche et Pigalle, à la jonction des IXe et XVIIIe arrondissements de Paris, William Essef n’a pas encore eu le temps de déjeuner. Il est bientôt 14 heures et deux photographes suivent ses pas feutrés pour capturer l’étonnante décontraction qui le poursuit jusque dans ses mots. C’est à peine la rentrée et l’emploi du temps du jeune musicien affiche pourtant déjà complet : un shooting photo suivi d’une interview pour Les Inrocks, un DJ-set entre potes à l’International et une grosse soirée au Trabendo pour soulever le Smmmile Festival jusqu’à l’aube : “C’est cool, on a beaucoup de soirées en ce moment, balance-t-il dans un filet de voix malicieux. Ça nous permet de mettre en avant la musique et les artistes qu’on défend.”
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En remontant le boulevard de Clichy, William enchaîne les poses, complète sa dernière story Instagram et distribue quelques SMS pour préparer les étapes de la nuit. Depuis une grosse paire d’années, il impose sa vision d’une musique électronique libre et variée dans les soirées underground de la région parisienne. Bamao Yendé. Voilà l’alias déterminé pour explorer la bass music, le grime, le UK garage, la house, les musiques africaines et tout ce qui passe par l’esprit et les platines du musicien. Une formule expérimentée en groupe et intrinsèquement liée à son territoire d’éclosion : le 95. Enième preuve, s’il en fallait, que le présent des musiques électroniques françaises se conjugue plus que jamais en banlieue.
Tout commence avec le collectif YGRK CLUB
Avant de monter son propre label, le très jeune patron de Boukan Records s’était affirmé au sein du collectif YGRK (prononcez “Y”) KLUB, basé dans le Val-d’Oise. William remonte le temps : “On a créé le truc avec mes potes de Cergy et on s’est rapidement retrouvés aspirés dans une sorte de spirale vertueuse.”
“Notre équipe était pluridisciplinaire. Certains faisaient de la couture, d’autres de la peinture, de la vidéo ou du son. On voulait présenter des événements complets et on a réussi à le faire pendant pas mal de temps. Ça commence à dater maintenant. Je crois qu’on a organisé notre première soirée il y a au moins trois ans.”
Une éternité dans l’espace-temps de ce kid de 23 piges qui cite The Score des Fugees parmi les albums fétiches transmis par sa mère. Né à Reims mais transformé par Cergy et ses cultures bouillonnantes, William est à peine plus vieux que l’enregistrement de la voix de Lauryn Hill sur le disque.
Influences familiales et UK garage
Après avoir étudié le piano, il lâche le conservatoire au milieu du lycée pour “chiller avec les potes et faire n’imp”. Le bac en poche, il s’inscrit en fac de lettres, avant d’essayer la musicologie. “Quand j’ai arrêté de faire semblant d’aller à la fac, j’ai replongé dans la musique. J’avais un pote qui touchait pas mal. Il m’a remis dans le bain et c’est grâce à lui que je me suis familiarisé avec la MAO.”
William s’enferme alors dans sa chambre pour composer et produire comme un nerd. Si la musique a toujours joué un rôle important à la maison – le makossa de Prince Nico Mbarga télescopant souvent les Fugees dans la playlist familiale –, le sujet devient rapidement un motif de discorde : “Mes parents savaient que je faisais du son mais quand j’ai tout plaqué, ils n’ont pas compris. Du coup, je faisais vraiment mon truc dans mon coin.”
Jusqu’à ce jour pluvieux de janvier 2014, lors de la première teuf du collectif YGRK KLUB. Un après-midi de performances organisé dans les anciens abattoirs de Pontoise : “C’était à côté de chez nous, et on avait réussi à faire venir près de six cents personnes. Il pleuvait mais c’était chanmé, l’ambiance était ouf ! Les mecs des abattoirs nous ont beaucoup aidés. Ils ont l’habitude de poser des teufs et des raves. Ils étaient carrés pendant qu’on criait et courait partout.”
A Paris et en banlieue, les fêtes s’enchaînent pendant des mois. Mais le projet initial, qui devait réunir plusieurs disciplines artistiques dans un seul et unique effort événementiel, s’efface progressivement. “On a un peu perdu ce qui nous animait au début car, à la fin, on ne se faisait booker que pour la musique.”
“Le projet global tel qu’on l’avait imaginé n’existait plus et on a arrêté de produire des événements avec le YGRK KLUB. On a perdu plein d’argent aussi car on était novices. Mais c’est important d’avoir la chance de faire des erreurs en groupe. Ça nous a grave soudés. Le truc n’est pas mort, hein ! Sans le YGRK KLUB, je n’aurais jamais pu monter Boukan.”
“Je passe des heures à naviguer de SoundCloud en SoundCloud”
De près ou de loin, la plupart des frères d’armes du collectif restent impliqués dans la création des projets estampillés Boukan Records. Moku John, Sottoh ou Fatal Walima en font partie. Avec Bamao, ces producteurs/DJ forment une microscène de plus en plus fascinante, notamment grâce à une culture du digging et un souci de la référence qui frise parfois l’obsession.
“J’ai plein de dossiers sur le net dans lesquels je classe tout ce que je diggue, confesse William dans un sourire. Quand j’étais au lycée, j’étais dans un délire latino. J’écoutais de la cumbia. Mais la révélation, c’est quand je suis tombé sur le UK garage sur YouTube. J’étais fou. Aujourd’hui encore, je peux passer des heures à naviguer de SoundCloud en SoundCloud.”
En sens inverse, ils sont déjà quelques milliers à consulter régulièrement celui de William ou ces clips fucked up publiés sur YouTube en mode collages lo-fi et surimpression. Teki Latex, ancien rappeur de TTC et boss du label Sound Pellegrino, a certainement laissé traîner quelques clics sur les réseaux de la fédération du Boukan. En avril, il n’avait pas hésité à inviter Bamao Yendé lors de sa résidence à Nuits fauves.
“Dans ce qu’il fait, tu as d’un côté le coupé-décalé et de l’autre la house. Et puis aussi la UK funky, qui a toujours eu un gros impact en France. Il me semble que William a découvert la UK funky à travers le prisme d’un label bien français : Clekclek Boom. Ou grâce à des gens comme French Fries, Manaré ou Bambounou qui ont promu cette musique dans leurs soirées.”
“Je préfère cette lecture à celle qui consiste à dire ‘Bamao Yendé fait de la UK funky à la française’. Il faut inventer notre propre truc. Je ne sais pas s’il y a un public en France pour ça mais si on ne lâche pas l’affaire et qu’on avance tous ensemble, on va le créer.”
Distribuer des bonnes vibes
“Je ne sais pas si on arrive à créer de nouvelles musiques en 2017 ou s’il ne s’agit que de nouvelles interprétations, s’interroge de son côté Bamao. Mais, pour moi, c’est vital de ne pas écouter les mêmes rythmiques et les mêmes schémas de composition. A notre époque, il n’y a plus d’excuses pour rester enfermés dans ses certitudes puisque tous les accès à la culture sont ouverts sur internet.”
Un principe que Bamao Yendé n’hésite pas à élargir à l’échelle de la société, lui qui avait remixé l’anaphore de Christiane Taubira (“Qui a été humiliée ?”) pour la transformer en tube d’afro-house consciente : “Je viens d’un quartier hyper cosmopolite, à Cergy, et je suis installé dans le XVe depuis peu…Quand j’ai débarqué, on me regardait bizarre de ouf ! Bon, c’est vrai que j’ai un look un peu extravagant pour aller chercher ma baguette (rires)…
”Mais je ressens beaucoup plus la peur de l’autre et de l’inconnu à Paris qu’en banlieue. Je ne comprendrai jamais les gens qui discriminent les autres. Comment peut-on avoir peur d’un migrant, alors que le mec est en détresse absolue ? Certaines personnes ne se rendent pas compte des défis qui se tiennent devant nous.” Celui de Bamao Yendé tient en un leitmotiv : distribuer des bonnes vibes et continuer à rêver.
Soirées Panoplie #1, le 29 septembre, avec Boukan Records en DJ set à l’International (Paris XIe) ; Nuit Blanche Boukan Records, le 7 octobre à Aubervilliers (Aérosol)
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