L’une est brune capiteuse, l’autre blonde et fraîche. Chacune tient un double rôle dans Mulholland Drive, pour lequel elle offre un véritable feu d’artifice. Entretien croisé autour d’un même sujet : leur rencontre avec David Lynch. Que pensiez-vous du cinéma de David Lynch avant de le rencontrer ? NAOMI WATTS Il est capable de s’intéresser […]
L’une est brune capiteuse, l’autre blonde et fraîche. Chacune tient un double rôle dans Mulholland Drive, pour lequel elle offre un véritable feu d’artifice. Entretien croisé autour d’un même sujet : leur rencontre avec David Lynch.
Que pensiez-vous du cinéma de David Lynch avant de le rencontrer ?
NAOMI WATTS Il est capable de s’intéresser à des personnages qu’on ne voit pas d’habitude au cinéma, ce qui est évidemment excitant pour une actrice. Plus globalement, il part d’un univers très familier et emmène peu à peu le spectateur vers un monde déroutant, ambigu. On s’enfonce comme dans un rêve ou un cauchemar, sans plus pouvoir reculer.
LAURA ELENA HARRING Elephant Man m’a bouleversée. Avec Blue Velvet, j’ai ressenti un choc plus esthétique. Enfin, je repense souvent à la scène dans Sailor et Lula où Laura Dern et Willem Dafoe sont dans la chambre d’hôtel. Le jour où j’avais rendez-vous chez David pour le rencontrer, j’étais tellement dans tous mes états que j’ai eu un accident de voiture. Quand je l’ai finalement vu, il m’a annoncé que la première scène du film était un accident de voiture… C’était un signe, et pendant les deux ans et demi qui se sont passés depuis, malgré toutes les difficultés qu’a eu le film à se faire, j’ai eu régulièrement ce genre de signes qui m’ont aidée à y croire.
Quel est votre Lynch préféré ?
NAOMI Mon trio de tête, c’est Blue Velvet, Sailor et Lula et Elephant Man. Si je dois vraiment en choisir un seul, alors je garde Blue Velvet parce que ça a été un choc inoubliable. J’ai compris en voyant ce film ce qu’était un auteur au cinéma. Plus qu’un metteur en scène.
LAURA Elephant Man : c’est un film qui nous rappelle à quel point l’être humain est vulnérable. Il ne faut jamais perdre ça de vue. C’est la meilleure façon de communiquer avec les autres. Sur ce terrain-là, au moins, nous sommes tous égaux.
Comment Lynch vous a-t-il présenté votre/vos personnage(s) ?
NAOMI Il m’a d’abord seulement parlé de Betty, en me disant que c’était une jeune actrice débarquant à Hollywood pour la première fois pour réaliser son grand rêve. Pendant longtemps, je n’ai su que ça. Mais David m’a posé beaucoup de questions sur ma vie, sur mes aspirations. Il est évident que pour lui, Hollywood est la métaphore du monde dans lequel nous vivons.
LAURA En ce qui concerne Camilla, il m’a dit de me comporter comme un chat, d’avoir des gestes très félins, très sensuels, des mouvements très lents, étirés. Et pour Rita, il m’a dit qu’il y avait un nuage noir au-dessus de sa tête, qui était la métaphore de son amnésie : quelque chose de menaçant, de terrorisant même. La preuve que David est un grand directeur d’acteurs : ses indications ne sont pas abstraites, mais très visuelles. Un chat et un nuage, quoi de plus parlant ?
Quelle a été votre réaction en découvrant le script ?
NAOMI Au départ, Mulholland Drive devait être une série télé, il n’était donc pas encore question de Diane : je devais juste jouer Betty, cette comédienne débutante pleine d’espoir et d’innocence par rapport à Hollywood. Mais on sentait que ça allait s’obscurcir. Elle ne pouvait pas rester aussi gentille jusqu’au bout. Personne n’est aussi gentil. J’étais assez excitée à l’idée de découvrir son sort à mesure qu’on passait d’une série télé à un film de cinéma.
LAURA Je me souviens que dès les premières pages, pendant la scène où la balle que tire le voyou vient se loger dans la grosse bonne femme, je me suis mise à hurler de rire. C’est tellement drôle ! Et là, j’ai ressenti un immense sentiment de respect et de fascination pour la personne capable de provoquer des émotions aussi brillamment.
Qu’avez-vous le plus apprécié en travaillant avec Lynch ?
NAOMI Son humour, son désir d’aller aussi loin que possible. Je me suis sentie totalement en confiance, entre de bonnes mains. Je ne me suis jamais sentie jugée avec lui : je pouvais essayer des choses, même si ça pouvait sembler être n’importe quoi. Oui, j’insisterais sur cette confiance réciproque.
LAURA Que David soit aussi spirituel : c’est-à-dire à la fois intelligent et très très drôle. Et puis, c’est vraiment un poète : ce n’est pas seulement le film fini qui est poétique, mais David l’est au quotidien, dans sa façon de travailler.
Et qu’avez-vous aimé le moins ?
NAOMI (Elle baisse le ton) Le fait que je doive me masturber plein cadre. Ça, c’était très difficile.
LAURA L’exigence était très grande sur ce film, donc j’ai parfois eu le sentiment de ne pas être à la hauteur. Je me souviens d’une scène qu’on a tournée tard dans la nuit, où je devais pleurer, et pleurer encore. A un moment, je me suis sentie vraiment vidée. Et en rentrant chez moi ce soir-là, je tremblais encore, je n’ai pas réussi à dormir.
Pour vous, quel est le sujet du film ?
NAOMI Les rêves et l’identité, et la façon dont on assume ou pas ses rêves et son identité. Pour moi, Mulholland Drive, cette artère qui serpente à travers Hollywood, symbolise bien le film : un voyage parmi d’autres, avec des détours imprévus, des bons moments, d’autres plus douloureux.
LAURA Les rêves déçus, les illusions et pas seulement les illusions hollywoodiennes, que les choses ne sont pas forcément telles qu’elles semblent être. Je pense qu’il y a énormément de métaphores dans le film sur les états de conscience. Pour moi, le fameux « Silenzio » qui revient dans le film renvoie au bouddhisme. Je suis souvent allée en Inde, où j’ai appris à calmer mon esprit : pour eux, c’est la clé du bonheur, de la félicité et de la connexion au divin.