Sélection officielle - séance spéciale.Sobibor a été construit à partir d’une “chute” importante de Shoah : un entretien avec Yehuda Lerner, ancien déporté ayant activement participé à la révolte des détenus du camp d’extermination de Sobibor. Lanzmann n’avait pas inclus ce passage dans Shoah car il considérait, à juste titre, qu’il méritait un film en […]
Sélection officielle - séance spéciale.
Sobibor a été construit à partir d’une « chute » importante de Shoah : un entretien avec Yehuda Lerner, ancien déporté ayant activement participé à la révolte des détenus du camp d’extermination de Sobibor. Lanzmann n’avait pas inclus ce passage dans Shoah car il considérait, à juste titre, qu’il méritait un film en soi.
Ce film, le voici, constitué donc de cet entretien datant de 1979 et de métrage tourné en 2001 sur les lieux mêmes évoqués par Lerner. Lanzmann a voulu torpiller le cliché qui veut que les Juifs se soient laissés docilement conduire à l’abattoir et a voulu rendre justice à l’esprit de révolte et de résistance qui les animait en ces années-là. Ce film montre également qu’il n’était pas simple pour eux d’avoir recours à la violence en ce temps-là, pour des raisons à la fois philosophiques et historiques.
Yehuda Lerner raconte donc son parcours de guerre avant Sobibor, notamment ses multiples évasions de divers camps de travail. Pendant toute la première partie du film, on entend sa parole mais on ne le voit pas à l’écran. Ce que filme Lanzmann (et Caroline Champetier derrière la caméra), ce sont les lieux de Lerner (Varsovie, Minsk, la campagne russe et polonaise, les trajets en train…) tels qu’ils apparaissent aujourd’hui. On reconnaît là le même projet esthétique et éthique que dans Shoah : créer un rapport dialectique entre le son et l’image, entre le passé et le présent, entre-deux dans lequel s’engouffre le travail de mémoire et de pensée du spectateur, entre-deux qui produit une sorte d’éternité métaphysique de ces événements, et qui évite de les figer dans l’imagerie rassurante et lointaine de l’Histoire et du passé.
Entendre Lerner évoquer les terribles événements des années 40 et voir à l’image les HLM et les monuments recouvrant l’ancien ghetto de Varsovie, ou bien la gare délabrée de Sobibor (et le bruit lancinant du train qui freine), c’est ressentir intellectuellement et émotionnellement le passé qui ne passe pas.
Ensuite, quand Lerner raconte avec précision la révolte elle-même, Lanzmann montre son visage et resserre le cadre : parole et expressions de ce visage produisent un saisissant effet d’incarnation, exempte de l’obscénité spectaculaire inhérente à certaines images d’archives, et encore plus aux reconstitutions. Quand Lerner, qui n’avait jamais touché une arme de sa vie, raconte comment il a fendu en deux le crâne d’un officier allemand en un seul coup de hache, on s’en réjouit comme de la résolution d’un film à suspens. Cela ouvre un petit abîme métaphysique, où l’on comprend quand même deux choses : d’une part, en certaines circonstances de l’existence, la violence la plus brutale s’impose comme élémentaire et légitime défense ; d’autre part, Sobibor est un grand film où souffle l’esprit de résistance, où bat la pulsion de vie.