Quinzaine des réalisateurs.L’Orphelin d’Anyang constitue l’une des plus belles révélations d’un Festival avare en surprises et s’impose comme notre Caméra d’or à nous, notre chouchou perso. Tourné sous le manteau, sans la moindre autorisation officielle, dans l’urgence et la précarité, ce film néanmoins abouti débarque incognito à Cannes, et emballe un public généralement réticent à […]
Quinzaine des réalisateurs.
L’Orphelin d’Anyang constitue l’une des plus belles révélations d’un Festival avare en surprises et s’impose comme notre Caméra d’or à nous, notre chouchou perso. Tourné sous le manteau, sans la moindre autorisation officielle, dans l’urgence et la précarité, ce film néanmoins abouti débarque incognito à Cannes, et emballe un public généralement réticent à subir un film chinois essentiellement composé de plans fixes, tourné dans les rues d’Anyang, province de Henan, et interprété par des acteurs non professionnels. C’est parce que le premier film de Wang Chao, en faisant se croiser les destins de trois personnages marginaux, ne se contente pas de dresser un portrait misérabiliste de la nouvelle société chinoise, mais raconte une histoire belle à pleurer digne des plus puissants mélodrames.
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Un ouvrier, victime des licenciements, se retrouve incapable de subvenir à ses besoins et cherche de l’aide auprès de ses voisins. Il hérite par hasard d’un bébé abandonné par une jeune prostituée de Mandchourie qui promet une pension à celui qui s’occupera de l’enfant. De son côté, un gangster proxénète, père supposé du bambin, découvre qu’il est condamné par une leucémie et décide de se racheter en reconnaissant l’enfant. Entre-temps, le papa adoptif et la putain tombent amoureux et recomposent, un trop bref moment, une famille. Mais la société va de nouveau briser ce fragile embryon d’harmonie retrouvée.
Un tel résumé pourrait presque faire penser à un mauvais roman-photo. Une vision superficielle du film, au contraire, orienterait le spectateur distrait sur la piste trompeuse d’un néo-réalisme dégradé, tributaire des contingences triviales du réel, mais perverti par un formalisme malvenu. Dans les deux cas, rien de plus faux. Chaque plan, soigneusement maîtrisé, est d’une rigueur exemplaire et ne laisse aucune place au hasard, tout en respectant la vérité des êtres et des choses filmées. Il n’y a pas non plus dans les événements rocambolesques qui parsèment le récit la moindre complaisance ni résignation devant les clichés. Tout simplement, de la rencontre entre le trop-plein romanesque du scénario (qui se réserve même des moments de pure comédie) et le trop-peu de la mise en scène, austère et radicale mais jamais sclérosante, jaillit progressivement une émotion insoupçonnable au début du film (la déambulation du chômeur dans un paysage industriel désert) et incontrôlable vers sa conclusion, déchirante. Le film n’est pas seulement politique dans sa description sans fard d’une partie occultée de la société chinoise, de ses exclus, de sa pègre et de son sous-prolétariat ; il ne se contente pas de dénoncer les licenciements abusifs, les brutalités policières et la sévérité de la justice. Wang Chao montre que les vrais liens qui unissent les hommes, les femmes et les enfants ne sont pas ceux du sang mais ceux du c’ur, que la solidarité de classe existe, que l’amour existe, que souvent la vie sépare ceux qui s’aiment.
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Wang Chao, réalisateur de L’Orphelin d’Anyang
N’est-il pas problématique de réaliser en Chine un film dont les protagonistes sont un chômeur, une prostituée et un gangster ?
WANG CHAO : Personne n’a encore vu le film en Chine. Sa première projection a eu lieu hier à Cannes. J’ai peur qu’il soit très difficile de distribuer le film là-bas dans les circonstances actuelles, mais c’est mon plus grand espoir.
L’interprétation est magnifique.
Tous les comédiens sont des non professionnels. J’ai donc organisé la direction d’acteurs de manière très stricte, sans laisser aucune place à l’improvisation, en ayant recours à des indications très pragmatiques au moment du tournage, lorsque les comédiens amateurs devaient dire leurs dialogues.
La mise en scène frappe par sa rigueur et sa beauté.
Il n’y a pratiquement pas de mouvements de caméra dans le film, mis à part dans trois scènes ; un léger panoramique au début, un au milieu et un à la fin. Ces trois décisions de faire bouger la caméra correspondent à une accumulation de sentiments qui surviennent à ces moments précis du film. Si la structure basique d’un film repose sur une succession de plans fixes, l’apparition du moindre mouvement devient bouleversante. Mais il faut savoir choisir le bon moment. J’avais aussi le souci d’être libre, de ne pas m’enfermer dans un système formel verrouillé.
Le film s’achève de façon déroutante, avec un bref arrêt sur image.
Le plan final est de l’ordre du fantasme. Un optimisme illusoire qui peut berner certains spectateurs sur le caractère dramatique de la conclusion du film.
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