En fleurs, sans meubles, poilus, rotatifs ou avec parking à l’étage : à Archilab, expo d’architecture à Orléans, les projets d’habitation ressemblent à tout sauf à des maisons. Habitats, mode d’emploi.
Un sourire éclatant se dessine dans la pénombre du dernier étage des Subsistances militaires d’Orléans. Ibrahima N’Doye est Sénégalais. Depuis cinq ans, il construit une maison dans la périphérie de Dakar, Seck 1 (une Seck 2 est également en cours de réalisation) conçue d’un bloc et face à la mer de façon à capter la fraîcheur du climat océanique. Long, long processus que celui de construire une demeure particulière dans un pays en voie de développement, pour une valeur dérisoire à l’aune du coût de la vie occidentale : 120 000 f. A quelques mètres de son espace d’exposition, les Français de Périphériques présentent leurs projets de maisons d’architecte destinées à un lotissement de Rezé en Bretagne, dont une spectaculaire Picnic house, dissimulée par un mur de végétation. Proposition d’habitat exceptionnel pour détourner la logique normative de cette forme populaire de planification urbaine. Loin des exigences du terrain sénégalais, une tentative de dépassement, exigeante et enjouée, du rêve ultrabalisé de la maison individuelle.
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Esthétique et politique. Recherche expérimentale et pragmatisme de terrain. La troisième édition d’Archilab, ambitieuse exposition d’architecture contemporaine, n’en a donc pas fini d’interroger la notion d’habitat, travaillée de l’intérieur, démantelée voire torturée par les impératifs de la modernité et le nécessaire accompagnement des exigences sociales. Vaste débat, bel enjeu philosophique, abordé avec rigueur par les textes parfois ardus du catalogue qui accompagne l’événement.
« La sédentarité, l’enracinement, sont liés à une vision conservatrice du monde qui ne tient pas compte des mutations à l’ uvre : mutations économiques, sociales, mutation voire dissolution de ce que l’on appelle l’unité domestique », écrit ainsi Béatrice Simonot, l’une des deux commissaires de l’exposition, citant Reyner Banham et François Dallegret en 1965 : « A home is not a house. »
Qu’est-ce donc qu’habiter, en ce début de iiie millénaire ? « L’habiter ne cesse d’être tiraillé entre les objets (la maison), les fonctions (loger), les structures (privé/public) », poursuit pour sa part Marie-Ange Brayer, sa cons’ur. C’est dire la diversité des projets montrés à Orléans (90 au total), dont les plus radicaux vont jusqu’à nier la notion même de l’objet maison. Le studio de Dagmar Richter constate ainsi qu’entre la chambre d’hôtel louée pour retrouver son amant, le club de gym et le Spa (bains bouillonnants ndlr), la domesticité est devenue extérieure. La maison est désormais la ville, et de l’ancienne demeure ne subsistent que deux espaces correspondant chacun à une fonction : le « frontyard », lieu de représentation, vitrine sociale, et « l’arrière-cour », consacrée aux loisirs et aux enfants. Dans une perspective plus directement politique, Willy Müller réinvestit des murs d’affiches publicitaires, sur lesquels il greffe des cellules d’habitation. Des structures mobiles sur des lieux dépourvus de propriétaires dans une optique de reconquête de surfaces abandonnées à la publicité.
Que construire ? Où construire ? Le Japonais Osamu Ishiyama achève aujourd’hui sa maison (Setagaya Village), fabriquée en dessous et au-dessus d’un pavillon traditionnel à Tokyo. De cette incitation à l’autoconstruction sourd bien sûr une critique des coûts exorbitants du bâtiment dans l’archipel. Dynamique projet qui renvoie à l’une des surprises d’Archilab : un pavillon en bois foncé, posé sur des planches noircies, planté dans la cour d’entrée. Etrange allure calcinée résonnant de chaos urbain et de misère sociale. Et pour cause. Il provient du ghetto de Detroit où, sous les coups de boutoir de la spéculation immobilière, les populations les plus pauvres ont quitté la ville pour sa périphérie, laissant derrière elles des milliers de demeures abandonnées, consciencieusement brûlées par les promoteurs en tout genre. C’est de ce lit de cendres que Kyong Park propose de faire uvre, récupérant à son tour les restes des maisons brûlées pour bâtir de nouveaux logements à l’emplacement des anciens, remis sur le marché à bas prix. Une stratégie de la récupération pour repeupler le ghetto et développer une forme de résistance. Beau travail, encore à l’état embryonnaire, auquel font écho, ailleurs dans l’exposition, les photos de Bas Princen (Mutating landscape, cf. photo) peuplées de lieux insolites et abandonnés qui reprennent vie et retrouvent un nouvel usage une fois réinvestis par quelques esprits inventifs.
Architecture et utopie. Au fil des salles scénographiées par la designer Matali Crasset (judicieuse organisation de l’espace qui permet à Archilab de ne pas ressembler à une exposition d’archi) s’alignent les projets plus ou moins excentriques, plus ou moins oniriques, plus ou moins critiques. Des Chaises de chaleur roses se moirent de blanc au contact d’un corps humain, une chaise aux pieds acérés comme des griffes, conçue par Didier Faustino, attend ses proies dans une cacophonie, une tour de François Roche agite ses poils et ses piercings sous-cutanés, tandis que l’agence Scape rêve d’un habitat aux murs végétaux. Autant de constructions organiques, de matériaux que l’on voudrait moins inertes et moins figés. Dépassement de l’objet par le fluide et les mouvements de circulation intérieure. Foisonnement d’idées et multitude de références théoriques, les trois étages d’Archilab ne s’arpentent pas en toute impunité tant y est remise en cause la notion même d’habitat. Odile Decq (et Benoît Cornette) réhabilite une ancienne école vétérinaire de Bruxelles en la peuplant de boîtes programmées comprenant des éléments de cuisines et de salles de bains. La pièce change donc d’usage en fonction du container ouvert. Une forme de nomadisme immobile, comme l’explique l’architecte aux faux airs de Nina Hagen. Déconstruction, reconstruction. L’association Archimédia a bâti une maison du divorce en deux parties distinctes dont l’une peut être considérée comme le point de départ d’une autre habitation, comme prête à être amputée de sa moitié. « Tout est architecture », disait l’architecte Hans Hollein.
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Jusqu’au 30 juin à Orléans, site des Subsistances militaires, 88, rue du Colombier, tél. 02.38.62.47.67.
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