A la carrière tracée de pop-star, l’Américaine Kristin Hersh a préféré la compagnie des ombres et de quelques stars amies, de Michael Stipe à Thom Yorke. Un parcours gourmand et fureteur dans les bas-côtés des musiques américaines, que l’ancienne chanteuse des Throwing Muses sillonne en Volvo break, avec famille et idées noires à l’arrière.
A part les disques de Scott Walker, le Hips and Makers de Kristin Hersh était le seul album que je pouvais écouter pendant que nous enregistrions The Bends. J’étais déjà un grand fan des Throwing Muses mais elle, c’est un génie et je peux totalement m’identifier à ses chansons. Elle a changé pour toujours ma façon d’écrire des chansons alors que je ne l’ai pourtant jamais rencontrée. J’adore son nouvel album Sunny border blue, j’aime le fait qu’elle mette toute sa merde dans ses chansons, pour que celle-ci n’empoisonne pas sa vie. C’est la raison pour laquelle, moi aussi, j’écris des chansons.
Thom Yorke
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Kristin Hersh ne s’est jamais pardonné d’avoir, il y a cinq ans, mis un terme à l’aventure des Throwing Muses, le groupe qu’elle fonda avec sa demi-s’ur et quelques copains de fac au milieu des années 80. Le groupe devait cristalliser, en une poignée d’albums franchement effrayants publiés sur le très chic label anglais 4AD, l’émergence d’une nouvelle scène punk américaine dont les Pixies, qui en incarnèrent la quintessencielle hétérogénéité, dépecèrent quelques années plus tard la carcasse.
On achève bien les chevaux, mais pas ceux sur lesquels on a misé jusqu’à sa dernière chaussette. Kristin Hersh : « Les Throwing Muses ne m’ont jamais autant manqué que depuis que j’ai abandonné tout espoir de reformer le groupe. Chaque fois que j’enregistre un disque, que je branche mes instruments, je pense à la façon dont les Muses l’auraient fait. Puis j’oublie, car je sais qu’il faudra que je me produise seule sur scène avec mes chansons. Alors je pousse les parties vocales et la guitare acoustique très en avant, pour ne pas que les gens soient trop déconcertés en venant m’écouter. »
Secoués par le départ de Tanya Donelly, partie former Belly, les Throwing Muses se séparèrent une première fois en 1992, après leur disque le plus ouvertement pop, The Real Ramona. Pour se reformer immédiatement sous l’impulsion de Kristin Hersh, qui passera encore deux bonnes années au chevet du groupe avant de sortir son premier album solo, Hips and Makers. Malgré le succès de ce disque, dopé par un duo magistral enregistré avec Michael Stipe, Kristin Hersh s’enferme médiatiquement dans le pavillon des hystéros castratrices (les violentes femmes ?) et attendra deux ans de plus avant de quitter définitivement les Throwing Muses.
Et deux années supplémentaires avant de publier son deuxième album : « A l’époque de Limbo, le dernier disque des Throwing Muses, j’ai enfin compris que je pouvais traiter comme des associées ces chansons qui envahissent ma tête depuis mes 14 ans. J’ai commencé à accepter ce phénomène sur lequel je n’ai jamais pu exercer aucun contrôle. Après la séparation du groupe, je n’ai rien pu écrire pendant deux ans. Pour la première fois de ma vie, j’étais parfaitement heureuse, seule au milieu du désert de Mojave avec ma petite famille. C’est à ce moment que mon mari m’a suggéré d’enregistrer ces chansons des Appalaches que me chantait mon père lorsque j’étais enfant. Des berceuses qui parlent toutes de mariage, de meurtre et de damnation. »
Originellement destiné à ne faire l’objet que d’une publication en ligne, Murder, misery and then goodnight sort finalement (en édition ultralimitée) en 1998. Contre toute attente, il offre un juste éclairage sur le songwriting de l’Américaine, pétrifiant à force de noirceur assumée : parfaitement sinistres, ces comptines traditionnelles, joliment réarrangées, jettent bébé au fond du puits avec l’eau du bain, mettent du bourbon dans son biberon ou attachent maman au fond du bois en espérant que le loup y soit. Mort de rire.
Murder, misery and then goodnight, dont les chansons datent pour la plupart du siècle dernier, contient en outre la matrice de tous les personnages, filles amères et fils de putes, qui peuplent la discographie de Kristin Hersh. Ceux que la chanteuse promène seule ou presque au fond de ses deux guitares sur toutes les scènes que son Volvo break lui permet d’atteindre : « Mes enfants, mon mari et moi menons une vie éprouvante, mais intègre : je gagne ma vie en roulant de ville en ville pour aller chanter mes chansons à quelques dizaines de personnes, comme le faisaient les bluesmen dans les années 30. Ce n’est pas toujours facile de consacrer son existence à quelque chose qui éloigne tous vos amis, précipite votre famille dans la précarité et vous apporte si peu d’apaisement en retour. Bien sûr, j’ai songé à tout arrêter, mais ça m’est redevenu impossible : les chansons sont de nouveau là, à la porte. C’est un perpétuel supplice. Mais au fond, je crois que j’adore ça. »
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Dernier album : Sunny border blue (Labels).
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