Comment Paramount a reculé de neuf mois la sortie de « G.I Joe: Conspiration » pour en faire une machine à entrées.
Du jamais vu à Hollywood : fin mai, en plein Festival de Cannes, cinq semaines avant la sortie du film aux Etats-Unis, Paramount décide de reculer son principal tentpole estival, G.I. Joe: Conspiration, à mars 2013, soit neuf mois plus tard. Le temps d’accoucher d’une version 3D qui aurait, selon le communiqué officiel, « un gros potentiel au box-office international » – comprendre : en Chine et en Russie où les spectateurs sont prêts à payer quelques roubles ou yuans de plus pour le relief. Soit. Mais étant donné les mirifiques dépenses marketing déjà engagées (dont un spot au Super Bowl, la Rolls des pubs) et l’extrême rigidité du calendrier de sortie, planifié deux ou trois ans à l’avance, personne n’y croit. Il y a autre chose.
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Un coup de poker
Les hypothèses pleuvent, et décortiquer le processus qui a mené à ce coup de poker est la meilleure façon de comprendre, par l’exemple, comment fonctionne Hollywood aujourd’hui – ou plutôt comment il dysfonctionne. Retour en octobre 2011, sur le tournage du film à La Nouvelle-Orléans où nous avons eu la chance d’être conviés. G.I. Joe: Conspiration fait suite à un premier opus réalisé par le tâcheron Stephen Sommers (La Momie), dont tout le monde – même son producteur, à mots couverts – s’accorde à dire qu’il est raté et qui a néanmoins rapporté assez pour qu’on envisage la suite.
Paramount sort de son chapeau un jeune réalisateur nommé Jon M. Chu, inexpérimenté en cinéma d’action mais qui a prouvé son talent dans deux domaines : la danse et la 3D. Sexy Dance 2, et surtout 3, sont ainsi deux merveilles de chorégraphie, complétées sur son CV par un documentaire de commande, Justin Bieber: Never Say Never, qui faisait de cette hagiographie du baby idol une passionnante réflexion sur la pop culture et la célébrité.
Formidable, se dit-on : voilà enfin, sans doute, un film d’action qui retrouvera la grâce abandonnée par le genre depuis des lustres et qui bénéficiera en plus du savoir-faire d’un des meilleurs techniciens de la 3D. Pour ne rien gâcher, on appelle Bruce Willis et Dwayne Johnson en renfort de Channing Tatum, héros du premier épisode, justement révélé par Sexy Dance… John McClane meets Fred Astaire : que demander de plus ?
Première surprise : lorsqu’on interviewe Jon M. Chu sur le plateau, il révèle que « ce sera un film plein de boue et de sueur qui s’éloignera du cartoon pour retrouver une sensation plus réaliste ». On est loin de l’univers pop et coloré qui définissait le cinéaste jusqu’alors, mais après tout pourquoi pas ? Surtout, on apprend que le film ne sera pas réalisé en 3D. Lorenzo di Bonaventura, également producteur des Transformers, se justifie par des contraintes de calendrier, « la 3D, que ce soit au tournage ou en postproduction, étant un processus trop lent pour nous permettre de sortir le film à l’été 2012 – à moins de le bâcler comme Le Choc des Titans ». C’est également une surprise, mais là encore, pourquoi pas : mieux vaut un beau film en 2D qu’une conjonctivite. Enfin, les quelques décors que nous découvrons (des écrans verts partout, la Nouvelle-Orléans nulle part), ainsi que les très maigres révélations sur l’intrigue achèvent de couvrir de mystère cet alléchant blockbuster…
Pourquoi attendre neuf mois pour sortir le film ?
La panique, non dénuée de rationalisme, semble avoir présidé à cette décision. Tout d’abord, la valse hésitation sur la 3D prouve l’extrême fébrilité des studios face à cette technologie encore incertaine : de plus en plus rejetée par les spectateurs américains qui y voient, souvent à juste titre, une arnaque, elle semble plaire au public international (John Carter n’a évité la catastrophe que grâce à cette manne). Va pour la 3D, donc.
L’autre raison, moins avouable et plus rocambolesque, concerne le casting : selon des indiscrétions révélées par Deadline.com (équivalent hollywoodien du Canard enchaîné), le scénario prévoyait de faire mourir Channing Tatum très tôt dans le film pour faire de Johnson et Willis les personnages principaux.
Or, entre-temps, Tatum a enchaîné deux succès au box-office US (Je te promets et 21 Jump Street) et sa cote risque de s’envoler grâce à Magic Mike, le nouveau Soderbergh attendu en août.
Et voilà comment, à cinq semaines de la sortie d’un des plus gros blockbusters de l’été, Jon M. Chu et son équipe doivent retourner des scènes pour rééquilibrer l’histoire en faveur du petit gars qui monte, qui monte… En crise, le star system ? Visiblement, certains y croient encore assez pour miser une grosse poignée de dollars sur un type de 32 ans inconnu il y a deux ans – on évoque une facture 10 à 20 millions de dollars, conversion 3D et coûts marketing inclus, pour ce « petit contretemps ».
Si tout cela ne présage en rien de la qualité du film, cela démontre en tout cas une chose : les studios naviguent à vue, sans savoir si la vague qui se dresse devant eux va les engloutir ou leur ouvrir la voie vers une nouvelle terre promise.
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