Le point sur les tendances du cinéma d’animation contemporain avec le directeur artistique du Festival d’Annecy, Serge Bromberg.
Le cinéma d’animation est partout : sur les écrans de vos distributeurs de billets de banque, sur ceux de vos téléphones portables, à la télé, dans les publicités ; il constitue la principale « nourriture spirituelle » des enfants de 3 à 10 ans et plus. Les adultes d’aujourd’hui, élevés au même biberon cathodique, en deviennent vraiment friands, depuis que des cinéastes d’animation délaissent les gentils petits mickeys d’antan pour des scénarios plus complexes qui répondent à leurs soucis ou à leurs fantasmes. Bref, dans un monde culturel où l’on n’a que le mot réalisme à la bouche et où le documentaire reprend sérieusement du poil de la bête, des films dessinés, gouachés, pâte-à-modelés, conçus en images de synthèse, avec des marionnettes ou des bouts de bois, informent tout autant notre psyché, nos comportements, nos pulsions, que les sacro-saintes « images réelles ». C’est pourquoi, une quarantaine d’années après sa création, le Festival international d’animation d’Annecy, devenu la plus importante manifestation de ce type au monde, fait figure d’énorme creuset créatif où, faute de vedettes tangibles, les stars sont les films, les films, rien que les films. Pour faire l’état des lieux de ce secteur prospère, en pleine mutation, et définitivement sorti de son ghetto obscur et artisanal, nous avons rencontré Serge Bromberg, alias Bromby, champion toutes catégories de la restauration des films muets, Géo Trouvetou des incunables du cinéma toutes catégories confondues, qui, tout en présidant aux destinées de Lobster Films, cinémathèque bis, officie également comme directeur artistique de la manifestation d’Annecy. Selon lui, la nouveauté technologique est l’arbre qui cache la forêt. Le secteur de pointe apparent, la 3D, les CGI (Computer Generated Images), popularisés par le succès des Jurassic Park, Toy Story, Fourmiz, et bientôt Shrek, seraient même en perte de vitesse : « Il y a quelques années, on avait ce sentiment que la 3D était la panacée, et que même, à la limite, en mettant des capteurs sur des acteurs, on pourrait faire ce qu’on appelle de la motion capture ; l’acteur bouge et ça se transforme instantanément en dessin animé en temps réel. Du coup, il n’y n’avait plus de problèmes de gouachage, de traçage, de travail image par image… L’image 3D continue à exister, mais on a l’impression qu’elle a lassé, et qu’elle est maintenant cantonnée à la reconstitution de textures réelles pour des petites créatures qui sont impossibles à réaliser, genre Shrek. C’est plus de l’effet spécial. » Depuis quelques années, une technique archaïque reprend du poil de la bête : la pâte à modeler. Ceci grâce au succès phénoménal des productions Aardman, le studio bristolien de Nick Park et de Peter Lord, dont on ne présente plus Wallace et Gromit, ni leur long métrage Chicken Run. Justement, « cette année, Annecy met un coup de projecteur sur la Grande-Bretagne, qui a une histoire un peu particulière. Elle est, on le sent bien, à la limite entre l’industrie européenne et une sorte de grand monde anglo-saxon de l’animation. Il y a des écoles incroyables en Angleterre, mais les principaux débouchés y sont les films industriels et l’animation publicitaire. Donc il y a beaucoup de gens qui ont fait leurs classes comme ça et puis, avec le succès des films de Nick Park, l’Angleterre est tout d’un coup remise en lumière. On a voulu interroger ce nouvel essor, cette dynamique du cinéma britannique, avec une rétrospective et une exposition Aardman au musée-château d’Annecy. »
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Le côté « roots » du cinéma d’animation a tellement le vent en poupe, comme par réaction à la froideur des images synthétiques, jamais assez vivantes, humaines, que l’on en revient à des méthodes presque primitives : « L’animation utilise la 3D, mais les derniers gros succès de l’animation, c’est Tarzan, dessin animé traditionnel ; c’est une série télé qui s’appelle Angela Anaconda, qui est faite avec du papier découpé ! Qui pouvait imaginer qu’on reviendrait au papier découpé ? Qui aurait pu imaginer qu’une série horriblement bavarde comme Angela Anaconda aurait le succès qu’elle a aujourd’hui ? A côté de ça, il y a Bill Plympton qui est devenu un auteur culte, il y a Jan Svankmajer (chef de file de l’animation tchèque qui utilise des objets, des matériaux hétéroclites), qui reste marginal mais mythique. Et regardez ce qui se passe sur le Net, média de demain. Comme on ne peut pas vraiment y faire passer de l’image 3D elle est trop lourde, trop complexe , on utilise le Flash. Et le Flash, c’est quoi ? C’est de gros aplats, des trucs en général pas très jolis, qui compensent par de l’idée et du scénario une déficience graphique due à une technologie encore très limitée. Une esthétique qui naît de ça. Le manga, qui est quelque chose de très tendance, encore aujourd’hui, c’est trois dessins par seconde, une esthétique très BD, très 2D, aux antipodes de l’image par ordinateur. »
Sur le plan des genres, on penserait a priori que les choses sont figées, avec, en gros, l’humour dans le camp anglo-saxon (la Grande-Bretagne avec ses pâtes à modeler, les Etats-Unis avec leurs satiristes, de Groening à Plympton, en passant par Parker & Stone) ; de l’autre côté, en Asie, le fantastique et la prospective futuriste chez les Nippons. Entre les deux, le continent européen à l’imagerie plus grave et culturelle. Mais il semblerait que la donne soit en train de se diversifier : « Chaque année, il y a à peu près 1 200 films qui arrivent à Annecy. Et au stade des présélections, lorsqu’on voit l’ensemble des films, on s’aperçoit que, la mondialisation ayant fait son chemin, c’est surtout dans le registre de l’humour que la plupart des pays se situent aujourd’hui. Dans chaque pays, on a la tendance principale dans les pays de l’Est, en Afrique, on a des marionnettes qui racontent la vie quotidienne, des légendes ; en France, il y a une veine un petit peu esthétisante, etc. , mais partout il y a une tendance à l’humour ravageur, parce qu’il se vend bien, qu’il n’a pas besoin de paroles. » Cependant, une question demeure : la relative absence, dans l’ensemble du cinéma d’animation mondial, malgré quelques exceptions marquantes (l’excellente série française Lascars qui part d’un vrai constat social, ou son équivalent américain, The Stubs, ou bien South Park et Dilbert), de référents contemporains. Seul le Japon semble s’intéresser au quotidien, à l’écologie ou à la technologie. Pour Serge Bromberg, « au Japon, l’animation s’adresse bien davantage aux jeunes adultes qu’en France. En Occident, l’animation reste, dans l’imaginaire collectif, le dessin animé pour enfants. Aujourd’hui en Europe, les gens qui font une animation plus exigeante, plus adulte, se posent tous cette question. Et des chaînes comme Canal + et Arte, qui montrent une animation différente, nous prouvent par A+B dans leurs choix que ces questionnements du quotidien sont véritablement au c’ur de l’animation. Simplement, la partie émergée de l’iceberg, ça reste les Tintin, les Corto Maltese, les Blake et Mortimer, qui effectivement sont loin d’interroger notre quotidien. Quant aux gens d’Aardman, ils ont fait le choix a priori, dans leurs films les plus publics, de s’inscrire dans des histoires tout à fait intemporelles. Le monde de l’animation reste profondément innocent ». D’autre part, à la différence du cinéma en images réelles, l’animation est l’apanage de pays dotés d’infrastructures de production et de diffusion :
« L’animation, c’est très technique. Il ne peut pas y avoir d’animation s’il n’y a pas de tradition dans ce domaine. C’est pourquoi je ne pense pas à la probabilité de pays émergeant tout à coup. Les grands pays, la Chine (bien qu’on voit assez peu de films), le Japon, le Canada, l’Angleterre, les Etats-Unis, les pays de l’Est, dominent le marché. Il y a tout de même la Corée, qui jusqu’à maintenant sous-traitait essentiellement des films du monde entier, pour commencer à produire des films pas du tout inintéressants. » A suivre, comme on dit dans les bandes dessinées.
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Festival international du film d’animation d’Annecy, jusqu’au 9 juin. Tél. 04.50.10.09.00. www.annecy.org
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