Hier soir à Londres, dans un sous-sol minuscule, on découvrait le trait d’union idéal entre pop flamboyante anglaise et rock nonchalant américain. Normal : Simple Kid est irlandais, à la dérive entre deux continents.
Quand on était mômes, c’était un de ces lieux londoniens forts en fantasmes : l’Hope & Anchor. Un pub du Nord de Londres, à portée de voix du stade de Highbury des Gunners, où se produisaient alors les nerveux du pub-rock, puis leur succursale punk-rock. Aujourd’hui, le quartier s’est sérieusement embourgeoisé et le Hope & Anchor est devenu un de ces nombreux bars à thèmes, avec photos encadrées d’Eddie & The Hot Rods ou des Damned : curieux mélange de feng shui et de chienlit.
Au sous-sol, une cinquantaine de personnes sont venus assister à l’un des tous premiers concerts de Simple Kid, un môme dont le premier single, I Am Rock est en tête de nos charts persos depuis deux semaines. Cinquante personnes selon les organisateurs, mais dix mille selon les menteurs qui, dans quelques mois, jureront avoir vu ce concert du prodige irlandais.
L’Irlande, vous savez : cette île à la dérive entre Angleterre et Etats-Unis, qui ne sait jamais si elle doit regarder à l’est ou à l’ouest. Exactement ce que fait la musique du jeune Simple Kid. On l’aime d’entrée. Pour sa casquette Shell, pour son sourire franc, sa communication chaude et aussi le disque qui l’accompagne : l’Egyptian Reggae de Jonathan Richman. L’hymne de tous les enfants, grands et petits. Heureux les simples d’esprits, les simple kids.
Il démarre seul à la guitare, harmonica autour du cou : ce sera l’une des faces B déjà connues par c’ur de son single, le nonchalant The Commuter. La ressemblance physique avec le jeune Beck, celui que nous avions rencontré à l’époque bénie de Loser il y a plus de dix ans, est sidérante. La voix, l’harmonica dératé et la guitare détraquée rappellent aussi le Californien. Avec sa dégaine canaille et méchamment cool, il évoque aussi les deux héros sexy du film ¡Y Tu Madre Tambien!, dont il partage la morgue, l’insouciance, le bagout et une aura de star.
Un groupe le rejoint pour Drugs : un mélange hétéroclite d’électricité morveuse et d’électronique crue. Simple Kid est alors à la fois tout ce que Ph nix rêve d’être, mélangeant une pop généreuse à une teigne amphétaminée, à un groove obsédant. Les unes après les autres, les chansons (il s’agit ici de chansons, somptueusement chantées et arrangées) s’enchaînent comme autant d’hymnes à venir, louchant autant vers les dancefloors les plus snobs que vers les stades les plus populaires. Un grand écart auquel les chansons de Simple Kid résistent paisiblement, trop souples et élastiques pour rompre.
Même dans les ballades, exercice osé en formation aussi réduite, Simple Kid fait des merveilles : comme si sa voix profonde ne suffisait pas, il faut que ses mélodies et orchestrations se servent aussi au rayon luxe. Truck Down, le prochain single, s’écoute ainsi déjà comme un hit recensé, familier. Simple Kid, parolier étrange, y conte les aventures d’un routier psychopathe, avec la voix d’un enfant de chœur.
L’Hope & Anchor est définitivement trop étroit pour cette gigantesque chanson emphatique qui, ce soir, humilie les chiches propositions musicales des frères Gallagher sur leur prochain album. Noel Gallagher aurait remonté l’escalier dépité, déprimé, humilié jusqu’à la huitième génération. Surtout que Simple Kid enchaîne sur son single, sorti sur le petit label Fierce Panda : I Am Rock aura forcément un jour son heure de gloire, quand Simple Kid s’affichera en couve de toutes les gazettes, quand une multinationale du disque l’aura embauché.
On s’amuse alors à imaginer les formules qui, demain, nous aideront à décrire cette merveille aux copains… On dira que Simple Kid mélange l’emphase de Marc Bolan aux beats minimaux des Dust Brothers ? ce qui peut éventuellement ressembler à un Blur jeune, inconscient. Ou à un Bowie sous ecstas. Ou à Suede qui aurait enfin déniché des chansons.
Simple Kid, qui compose, chante, produit et arrange ses chansons supérieures est célibataire. A 22 ans, il est un des plus beaux partis anglais actuels. On le verra, c’est certain, au prochain festival des Inrocks. Il sera sans doute marié d’ici là.