De la quête intime des origines à sa transposition cinématographique, le réalisateur de La Traversée, tour à tour confident et entraîneur, dresse le portrait en creux de son personnage central.
« Stéphane m avait raconté l’histoire de son père inconnu, et j’avais été très étonné qu’il n’ai jamais eu le désir de partir à sa recherche. Face à mon étonnement, Stéphane me disait toujours que c’était ainsi, que la vie avait imposé cette absence. Connaissant un peu Stéphane, je trouvais ça un peu suspect, je devinais que ce n’était pas aussi simple. Stéphane aimant bien le débat, et moi aussi, on s’est enfoncés sur ce terrain-là. Tout ce qui touche à la figure du père me tient particulièrement à c’ur.
Stéphane a commencé à réfléchir à ce père absent et un jour, j’ai senti que seul, il n’irait pas le rechercher. Son désir était ambivalent, mélange de curiosité, de peur et de colère par rapport à cet homme qui avait quitté sa mère sans plus donner de nouvelles. Stéphane s’est greffé sur mon désir et s’en est servi comme d’un moteur pour amorcer la recherche. C’est moi aussi qui lui ai proposé l’idée d’un film. Ça s’est fait naturellement, parce qu’on a toujours aimé dans l’art ce qui touche à l’autobiographie. Je savais aussi que l’idée d’un film l’exciterait, qu’il se dirait « tiens, il n’y aura pas que la recherche elle-même« . Le film l’a aidé à entreprendre la recherche.
Au départ, on avait une adresse vieille de trente ans, qu’on savait plus valable. On savait juste que son père était originaire du Tennessee. Mais il aurait très bien pu être tué au Vietnam. Il fallait trouver toutes ces infos là-bas. Il y avait aussi toute une part d’imaginaire, qui a relié Stéphane à son père. Avant de partir, on a écrit un synopsis, qui osait comme principe qu’il y aurait des passages obligés dans le film. Par exemple, il fallait aller à New York où Stéphane avait imaginé marcher dans les rues avec son père. C’était intéressant de partir de cet imaginaire, puis d’aller progressivement vers la réalité de la recherche.
Tout au long du projet, Stéphane a toujours été dans l’ambivalence. On a découvert là-bas une Amérique profonde et banale, qui n’est ni celle des ghettos, ni celle du rêve américain, et on avait l’impression d’avancer dans du rien. Ça le terrifiait. Moi, j’étais l’aide, le garde-fou, l’entraineur. Stéphane aime beaucoup être invisible, observer les autres, il aime le recueillement et la solitude. Là, être entouré en permanence de quatre personnes n’était pas facile pour lui. A des moments, il acceptait cette donne, à d’autres, elle l’insupportait.
Le film n’est pas seulement sur la recherche du père, il est aussi axé sur la découverte d’un territoire, sur le processus de filmer l’intime. Car même si la mise en scène est fictionnelle, la matière brute est absolument documentaire. Le début du film est très découpé, comme une fiction, et plus on avance, plus le film s’est épuré et a intégré la réalité, plus on abandonne la voix off pour inclure les dialogues directs’
Pendant le tournage, Stéphane tenait un journal et me le lisait. Il y avait un repli absolu de sa part, il refusait de voir ce que la réalité nous proposait, une dame qui passe Dans le film, il n’y a pas de rencontres, l’Amérique est tenue à distance. Stéphane ne voulait pas du tout la conquérir et parfois, ça me mettait en colère. Je crois que c’est parce que nous arrivions sur les terres du père. Le vide du midwest et l’approche du père le nouaient et le fermaient à la réalité. Mon rôle était de le maintenir ouvert face à la réalité et de lui dire ?Regarde ! Vis ce voyage !« .
C’était un acte de résistance (toutes proportions gardées) que de ne pas céder à la tentation de filmer la rencontre de Stéphane et de son père. On serait tombé dans le voyeurisme spectaculaire. Dans le fond, le sujet de ce film est très banal, c’est Perdu de vue. Ce genre d’émission montre des moments intimes qui ne devraient appartenir qu’aux personnes qui les vivent. Pour Stéphane et moi, c’était une question de morale élémentaire : on n’allait pas prendre le père en otage. Ç aurait été abject de notre part de débarquer devant sa porte avec une caméra, et de détruire ce moment qui n’appartient qu’à Stéphane et à son père. En même temps, ce refus de filmer ce moment-là donne une place active au spectateur, ce qui est le rôle du cinéma. Le spectateur peut imaginer ce qui est off, ce qui ne doit pas être montré. Le plan lointain où Stéphane et son père se disent au revoir, le seul où on voit le père, j’ai failli ne pas le filmer. J’ai demandé l’autorisation au père. Mon rôle était de garder un respect vis-à-vis de Stéphane et vis-à-vis du film, de ne pas céder au sensationnel. On a décidé de ne pas les accompagner et de rester loin.
Le format scope m a imposé des choses, pour le meilleur. Le format logique aurait du être la dv. J’ai voulu résister à cette facilité. L’appareillage du scope était lourd et m a imposé de faire des choix, de ne pas tout filmer. Avec la dv, on risque de filmer tout ce qui bouge, sans penser en termes de cinéma, c’est tellement facile. Moi, je voulais au contraire affirmer un point de vue, jouer sur le cadre et le cinéma, sur ce qu’on montre ou pas ».
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}