Pour contrer les réformes de Sarkozy et Pécresse sur l’université, les enseignants-chercheurs entament une grève ce 2 février, grève qui pourrait s’annoncer longue. Le grand soir dans l’amphi ?
L’université française à la veille d’une “grève totale, reconductible et illimitée” ? L’ultimatum est lancé par la Coordination nationale des universités : si le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ne revient pas sur ses réformes, le 2 février les enseignants du supérieur débraient. Une fois n’est pas coutume, cet appel n’est pas le fait des étudiants mais de leurs honorables professeurs. C’est la première fois qu’un mouvement de grève universitaire part de leur initiative. “Exceptionnel”, “incroyable” : les représentants de la Coordination ne manquent pas de superlatifs pour décrire l’ampleur de la fronde professorale. Comme s’ils n’en revenaient pas eux-mêmes.
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Il est en effet inhabituel que les profs d’Assas ou de Dauphine se joignent à ceux de Paris-VIII dans un combat collectif. Même le syndicat Autonomesup (marqué à droite) se joint au Snesup-FSU (majoritaire, gauche) et aux associations comme Sauvons l’université ou Sauvons la recherche. Les enseignants qui avaient écouté d’une oreille distraite les mises en garde contre les conséquences perverses de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités
(LRU) ont rejoint un mouvement qui court depuis 2007. “En ce moment, je vois des collègues abasourdis par les dispositifs du ministère, qui prennent conscience du massacre en marche de l’emploi scientifique”, raconte Jean Fabbri,
secrétaire général du Snesup-FSU.
Le 22 janvier, la Coordination des universités a ainsi condamné dans un texte commun “la mise en place d’une politique d’affaiblissement structurel de l’enseignement et de la recherche, la précarisation des personnels de toutes catégories” et “exige le rétablissement des postes supprimés, un plan pluriannuel de création d’emplois statutaires dans les universités et les grands organismes de recherche”. La Coordination conditionne le déclenchement de la grève du 2 février au retrait de trois mesures qui cristallisent les mécontentements : le projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs, la réforme de la formation et des concours de recrutement des enseignants du premier et du second degré et les suppressions de postes du supérieur.
Le projet de décret prévoit la possibilité de “moduler” le “temps de service” des personnels entre enseignements, recherche et tâches administratives. L’ennui, c’est que depuis que la LRU est en vigueur, les présidents d’université ont tous les pouvoirs de nomination sans véritable contrepouvoir. Les opposants au décret dénoncent le risque d’arbitraire pour les promotions et l’accentuation
des “féodalités”. Même les présidents d’université, à travers la voix de Lionel Collet, président de la Conférence des présidents d’université (CPU), font état
d’un “grand malaise”. Face à la fronde des enseignants, ils sont plus critiques car élus par la communauté universitaire alors qu’ils étaient tous dans l’ensemble favorable à la LRU. Pour la Coordination nationale, une logique est à l’oeuvre : la destruction du statut de fonctionnaire d’Etat au profit d’undéveloppement de la contractualisation, à court terme et moins bien payée. Les enseignants-chercheurs craignent en effet de servir de variable d’ajustement en voyant leurs heures de cours augmenter, pour combler notamment les 900 suppressions de postes, 1 030 d’après le recomptage du Snesup-FSU et les effets pervers
du recrutement en master.
Après pétitions, tribunes dans la presse, rétentions de résultats,
la mobilisation est donc passée à une deuxième phase. Alors que la ministre tente vaguement de rassurer le monde universitaire, la crise
ouverte est grave et profonde. S’opposent deux conceptions : d’un côté la mise en concurrence, la culture du résultat et de la performance individuelle ; de l’autre celle de la culture collégiale, d’autonomie et de liberté
à la base du travail universitaire. “Le travail universitaire de recherche est intéressant s’il est basé sur la performance collective. C’est ce qu’explique le prix Nobel de physique Albert Fert : pour qu’un seul trouve, il faut 90 chercheurs
qui ne trouvent pas”, rapporte Jean-Louis Fournel, président de Sauvons l’université.
Et ce n’est pas la politique de l’absence de dialogue de Sarkozy qui va régler la crise. “Nous avons peu de contacts avec Valérie Pécresse sur le fond. C’est une bonne élève sarkozyste. Ce qui intéresse cette spécialiste de la
communication, c’est de séduire l’opinion publique”, explique Jean Fabbri. “Pécresse est une spécialiste de la concertation au sens de Sarkozy : elle
écoute mais ne tient pas compte. Le président cherche le rapport de force pour nous faire passer pour conservateurs et corporatistes”, critique Jean-
Louis Fournel.
Le discours de Sarkozy du 22 janvier sur la recherche et l’innovation est venu jeter de l’huile sur le feu. Jugé insultant, il a heurté la communauté des enseignants- chercheurs. “Ce discours d’une faiblesse confondante
est impressionnant de mépris, d’autosatisfaction, de
contrevérités. C’est une vision simpliste de la concurrence et des prétendus classements internationaux”, s’indigne Jean Fabbri. Un communiqué d’Autonomesup du 28 janvier pointe le fossé entre la communauté
et le gouvernement : “Si le ministère maintient son obstination et son blocage, il portera devant le pays la responsabilité du chaos qui pourrait s’en suivre.” Tout un programme.
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