La série emblématique de Netflix n’en finit plus de chuter dans notre estime. Est-ce elle le problème ou bien nous ?
Pourquoi des séries autrefois aimées se mettent-elle à nous ennuyer ? Qu’elles soient devenues mauvaises devrait suffire à répondre à cette question. Mais comment en être sûr ? Voilà qui semble plus difficile à cerner.
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Au fil des années, ces grands corps narratifs en mouvement remettent en jeu à la fois leur crédibilité et la capacité de perception de ceux qui les regardent. Commencer à tourner de l’œil ou à somnoler devant un épisode, puis deux, doit conduire à interroger notre évolution de spectateur en lutte avec lui-même. Qui change, la série ou nous ?
Avec House of Cards, la question de la profondeur, voire de la réalité de notre amour, s’est posée très vite. Dès le premier épisode de la saison 2, pour être précis. Un événement brutal, le meurtre de la jeune journaliste Zoe Barnes par le personnage principal de la série (le politicien Frank Underwood), a confirmé l’orientation narrative choisie par le scénariste Beau Willimon. Un genre de politique de la terre brûlée. Nous étions, définitivement, devant un traité de la décomposition morale sans nuance de l’Amérique.
De plus en plus étouffant
Depuis ce moment-là, la possibilité d’être surpris par la série s’est amenuisée. Il a fallu un certain temps pour le comprendre vraiment et laisser s’évanouir les stigmates de l’addiction initiale – la première saison, largement gérée par David Fincher, avait été de bout en bout remarquable à nos yeux. Longtemps, nous avons cherché des excuses à House of Cards. Mais deux hivers plus tard, alors que la troisième saison vient d’être mise en ligne, les barrières psychologiques sont moindres.
Frank Underwood (Kevin Spacey) a enfin accédé à la Maison Blanche avec, au passage, pas mal de sang sur les mains ; sa femme Claire (Robin Wright) est toujours présente. Leur duo reste très plaisant à observer (comme on regarderait deux fauves mis en cage spécialement pour nous) mais le caractère monolithique de la série apparaît de plus en plus étouffant. Comment s’intéresser à des personnages aussi peu ambigus ? Comment ne pas considérer leur noirceur comme un théâtre trop sérieux et grandiloquent ? House of Cards est restée fidèle à elle-même. Se rétractant vers un territoire toujours plus exigu, elle n’a pas pour autant atteint l’épure. C’est devenu son problème.
Morts pour rien
A la centième interpellation face caméra de Kevin Spacey expliquant de quelle manière il va manger tout cru la personne qui tente de négocier avec lui, il est permis de soupirer. Même dans les séries, les rituels peuvent lasser. Dans la première moitié de cette troisième saison (celle que nous avons vue au moment d’écrire ces lignes), une adversité crédible semble se dresser pour la première fois sur la route du héros – Underwood n’est pas un président très aimé ni très compétent. Mais les difficultés engendrées sonnent souvent faux et House of Cards fait maintenant l’effet d’un paquebot narratif glacial qui avance dans la nuit en pilote automatique.
Le manque flagrant de personnages secondaires forts éclaire a posteriori le fait que ceux qui ont disparu du paysage sont morts pour rien, simplement pour provoquer des chocs. Or une grande série n’essaie pas de créer des chocs. Elle nous les inflige naturellement et on s’en souvient à vie – la mort de Lucy Knight dans Urgences, exemplairement. Malgré de belles scènes parsemées ici ou là, House of Cards semble s’agiter dans le vide.
Reste une seule inconnue, majeure : la seconde moitié de la saison nous fera-t-elle à nouveau changer d’avis ? C’est toujours possible. La vie de l’amateur de séries est parfois compliquée. Pour se rassurer, il peut se dire que celle des créateurs l’est encore plus.
House of Cards saison 3 tous les jeudis, 20 h 55, Canal+. Intégrale sur Canal+ à la demande
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