Le cinéaste finit systématiquement ses films par la fonte du héros dans le grand bain de l’anonymat. Passage en revue.
James Caan marche seul dans une rue pavillonnaire, sa vengeance accomplie, sous une voûte d’arbres protecteurs (Le Solitaire). Al Pacino franchit la porte de sa rédaction, remonte le col de sa veste et retrouve son anonymat au milieu de la rue (Révélations). Jamie Foxx descend calmement sur le quai, entre chien et loup, sa fiancée dans les bras, tandis que le métro transportant le corps inerte de Tom Cruise s’éloigne (Collatéral). Colin Farrell, ayant laissé repartir la belle Gong Li, marche sur le parking de l’hôpital où il va retrouver la femme de son collègue blessée (Miami Vice). Chris Hemsworth se fond dans la foule d’un aéroport, habillé de blanc, marqué d’une petite tache rouge, somme de pixels sur un écran de surveillance (Hacker).
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Michael Mann aime ainsi conclure ses films dans un apaisement relatif, par le retour du héros dans le giron de la normalité, par une réintégration dans le flux qu’il aura en vain cherché à éviter ou, à l’inverse, dont il se sera écarté bien malgré lui. Toujours, ces scènes se déroulent de nuit et sont accompagnées des nappes musicales qui font la renommée du cinéaste, qu’elles soient de Tangerine Dream, Massive Attack ou Mogwai. On pourrait ajouter à cette liste les fins de Heat et de Public Enemies, qui partagent la même esthétique et reprennent l’idée d’une impossible fuite, mais doivent en passer, elles, par le sacrifice du bandit héroïque.
Le regard (supposé) mélancolique vers l’horizon
Véritable effet de signature donc, généralisé à partir des années 2000 bien qu’imaginé dès le premier film, ce motif en rejoint un autre, tout aussi iconique : le regard (supposé) mélancolique vers l’horizon. Pas un film ou presque où Michael Mann ne s’autorise une pause de quelques secondes, pour permettre à son héros de scruter au loin (les rues illuminées de Los Angeles qui s’étendent à perte de vue, l’Océan à travers une baie vitrée, les mirages sur le tarmac d’un aéroport…). Les visages minéraux et neutres que le cinéaste affectionne tant ne semblent alors s’animer qu’à la faveur d’un bon vieil effet Koulechov : regarder l’horizon, c’est forcément être ailleurs, et être ailleurs, c’est regretter d’être ici, comme dans les toiles de Caspar David Friedrich.
Mais est-ce bien sûr ? Et si, à y regarder de près, c’était l’inverse ; et si, au fond, Michael Mann n’était pas un romantique mélancolique, toujours en quête d’un au-delà inatteignable, mais plutôt un épicurien qui trouve la joie et la beauté où elles sont : devant lui. Non pas sur le front infernal de l’info mais au milieu d’une rue sublimement éclairée (Révélations) ; non pas sur une carte postale d’île paradisiaque, mais devant des lignes à haute tension brillantes au petit matin (Collatéral) ; non pas sur un hors-bord aux bras d’une insaisissable criminelle, mais aux urgences auprès de ses amis (Miami Vice). C’est bien là, anonyme au milieu des anonymes, dans l’en deçà du monde, que le héros mannien se libère pour de bon.
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