Deux chercheurs de l’Observatoire des radicalités politiques (Orap) ont livré leur analyse du vote FN au premier tour des élections départementales. Sa progression, bien que modeste, s’explique selon eux par l’élargissement de son socle électoral, et la radicalisation d’électeurs de droite.
Marine Le Pen a affiché un large sourire tout au long de son allocution après l’annonce des résultats du premier tour des départementales ce dimanche 22 mars. Cachait-il une pointe d’amertume ? En rassemblant 25 % des votes, le Front national n’a certes pas réalisé un score aussi élevé que ce que les sondages prévoyaient (jusqu’à 30 %), privant ses dirigeants de répéter à satiété qu’il est devenu le premier parti de France. Mais l’autosatisfaction de la présidente du parti peut être sincère. L’ancrage territorial du FN se confirme : non seulement il a réussi à couvrir tout le territoire en se présentant dans 93 % des cantons, mais il peut se maintenir dans plus de la moitié des cas, et quatre de ses candidats ont été élus dès le premier tour.
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Un scrutin de confirmation, et pas de bouleversement pour le FN
Comment expliquer ce score historique ? Les politologues spécialistes de l’extrême droite Joël Gombin et Jean-Yves Camus, membres de l’Observatoire des radicalités politiques (Orap), ont livré leur analyse de cette évolution ce lundi 23 mars à la Fondation Jean-Jaurès, à Paris.
Pour Jean-Yves Camus, directeur de l’Orap, “il s’agit d’un scrutin de confirmation, pas d’un scrutin de bouleversement”. Le FN fait la preuve qu’il s’ancre des les territoires ruraux et rurbains, où il séduit une classe ouvrière et des employés qui vivent à la campagne. Ce score prouve surtout que la stratégie de la patronne du FN, qui consiste à miser sur le local, est doublement gagnante. Non seulement elle participe à en faire un parti national, fortement implanté partout, mais le FN en profite pour former une nouvelle génération de cadres. « Ce travail très lent d’implantation et de maillage local transforme profondément le parti, estime Jean-Yves Camus. Il participe à faire émerger une nouvelle génération de cadres dont la sociologie révèle une jeunesse des candidats, la parité, et une place importante accordée aux catégories modestes.”
L’investissement consenti par le FN dans les élections intermédiaires est donc rentable : aux municipales, aux départementales et peut-être même aux régionales, il est profitable électoralement. Ainsi dans toutes les villes qu’il possède, le FN progresse par rapport au premier tour des élections municipales de 2014. A Fréjus et au Pontet, deux villes tombées dans l’escarcelle du FN en 2014, les binômes FN ont été élus dès le premier tour.
« L’évolution du vote frontiste se fait en forme de stabilisation »
Quantitativement, selon le décompte de Joël Gombin (qui n’inclut pas le Nord-Pas-de-Calais pour cause de retard dans la communication des chiffres), le FN progresse dans 1 601 cantons par rapport aux élections européennes. “Dans l’immense majorité des cantons, le FN gagne des voix par rapport aux européennes, même si cette progression est modeste et bien inférieure à ce qu’annonçaient la plupart des sondages”, constate le politologue.
Pour autant, si l’on compare les résultats de ce premier tour avec ceux de la présidentielle de 2012, un certain tassement est observable, et une tendance lourde : la progression du FN est d’autant plus faible que le vote FN était fort en 2012. « C’est un indice qui tend à confirmer une forme de rééquilibrage de la géographie – et donc probablement aussi de la sociologie – électorale de FN, explique Joël Gombin. L’évolution du vote frontiste se fait en forme de stabilisation, voire de tassement dans les territoires les plus périphériques, les plus ruraux et les plus populaires, alors qu’à l’inverse, dans un certain nombre de territoires plutôt aisés, urbain ou périurbains, le FN progresse parfois de manière très significative.” En Picardie, le FN réalise ainsi ses meilleurs scores dans les cantons très aisés du sud de l’Oise et dans les cantons très urbains amiénois.
Un message des électeurs de droite adressé à l’UMP ?
Comment interpréter cette percée dans ces cantons ? Selon Joël Gombin, cela correspond au report de votes de droite sur le FN, car il s’agit bien de bastions de droite où Nicolas Sarkozy réalisait ses meilleurs scores en 2012: « Une partie du cœur de l’électorat de l’UMP se porte désormais dans certaines conditions sur le FN aux élections intermédiaires. C’est une manière d’adresser un message à l’UMP pour qu’il se droitise davantage. Pour l’instant on ne sait pas si ce vote va se pérenniser pour les présidentielles ».
Le réservoir potentiel de voix en faveur du FN est donc plutôt en croissance selon les résultats de ce premier tour. Le FN réussira-t-il pour autant à arracher un département dimanche prochain ? Le parti est bien placé dans le Vaucluse et dans l’Aisne, où il arrive en tête dans la majorité des cantons. Marine Le Pen a qualifié l’hypothèse de « crédible ». Pour Jean-Yves Camus, cela relèverait « non pas du miracle, mais de la très belle performance ».
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