Alors que le chômage fait des ravages, doit-on tout accepter pour conserver son emploi ? Dans un livre témoignage, Cedric Porte et Nicolas Chaboteaux dénoncent les agissements totalitaires dans leur ancienne entreprise. Effrayant portrait d’un monde où »travail » rime avec »bétail ».
Les chiffres du chômage sont tombés mercredi 25 mars. Près de 3,5 millions de Français ont pointé au Pôle Emploi en février. Dans une telle situation, la course à l’emploi devient le parcours du combattant. Les entreprises jouissent alors de la maxime “Un de perdu, dix de retrouvés”. Et les conséquences peuvent être dramatiques: burn out, dépression, suicides…
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Des mots choquants qui trouvent écho dans les médias. Pour certains, le travail, perçu comme libérateur et intégrateur social, tourne à l’esclavage. Des pratiques dignes de 1984, Orwell n’avait rien vu…
Brimades et mouchardage
L’ouvrage Travailler à tout prix ! dresse le portrait d’une entreprise où les employés vivent dans la peur. Nicolas, ancien licencié économique, et Cédric, ancien SDF, pensent retrouver enfin le bonheur lorsqu’ils sont engagés chez MSS, entreprise d’informatique. Les managers de cette PME se révéleront des broyeurs d’individus. Brimades, formatage, loi du silence et dénonciation sont au menu.
Nicolas Chaboteaux y décrit le jeu quotidien de ses supérieurs : “Lerouge (JBL) et Tuco ont mis au point un petit jeu qui s’apparente à du ping-pong. Dans le rôle de la balle : un salarié. Dès le matin, Tuco convoque sa proie. (…) Mettant le doigt sur une ‘flagrante incompétence’ à corriger, il lui donne un nombre incalculable de travaux à réaliser. Rentre alors dans le jeu JBL qui, parallèlement, appelle cette même victime pour lui assigner d’autres tâches. Bien sûr Tuco et JBL s’appellent pour se tenir informés. Il se marrent. (…) ‘Tu aurais dû voir ce que je lui ai mis. Il venait à peine de redescendre de ton bureau. Il faisait une tête !’”
Loi du silence
Sans savoir réellement en quoi consiste leur travail, les deux employés évoluent dans un silence imposé par la direction. Lorsqu’un jour, Cedric Porte finit par satisfaire son directeur, sa réaction est surréaliste. “Dites-moi, vous avez été aidé par qui pour faire ça ?” (…) Je lui réponds que personne ne m’a épaulé et que j’ai bien fait ce résumé seul. Il enchaîne : »Je vous préviens, j’ai demandé que l’on me remonte l’information si on vous surprenait à parler avec d’autres personnes de la société. Si j’apprends que vous avez essayé de parler à quelqu’un, je vous vire sur le champ !”
L’apogée du mouchardage survient lors d’un séminaire auquel Nicolas assiste. Lors d’une réunion, le cas de François, un “ancien” que la patronne a dans le nez, est abordé.“Ce mec, ce n’est plus possible ! Il ne ferme jamais la porte et en plus il pue, c’est une horreur !” (…) Prenant son courage à deux mains, Didier (le sous-directeur) répond enfin : “Ecoute on en a déjà parlé. Je ne me vois pas le licencier pour le seul motif qu’il ne ferme pas une porte et qu’il pue, je suis désolé !” (…) Mme Sentenza ne l’entend pas de cette oreille et ne s’avoue pas vaincue : “De quoi ? Ce sont des motifs qui te manquent ? Mais, si ce n’est que ça, on peut peut-être t’aider !” La présidente est en train de demander à chacun de donner des griefs “non contestables aux Prud’hommes” sur François ; en clair, de balancer leur collègue.
Dans une société où 7,5 % des travailleurs sont précaires, les conditions de travail sont souvent reléguées au dernier plan. En 2012, un salarié sur cinq se disait harcelé moralement au boulot. Ainsi, briser le silence se révèle parfois plus compliqué.
“Les gens autour de nous ne nous croyez pas, ils pensaient qu’on exagérait. D’un autre côté, je culpabilisais, je me disais que ça faisait trop longtemps que j’avais quitté le monde du travail et par conséquent, c’était de ma faute” nous explique Cédric Porte.
Alors sans-abri, le travail devient pour Cédric un moyen de renaissance sociale. “Par exemple, se plaindre du monde dans le RER, c’était un moyen de devenir Monsieur Tout Le Monde”, livre-t-il. Depuis la publication du livre, les deux auteurs ont reçu plus 250 lettres de témoignages. Une thérapie collective qui unit des milliers d’anonymes.
Suicide en entreprise, ultime libération ?
Le harcèlement professionnel peut engendrer des drames. Chaque année, 300 à 400 salariés se suicideraient en France. Deux salariés sur dix se disent en situation potentielle de burn out. Le travail est devenu facteur de maladies psychiques.
“J’avais la volonté de m’en sortir par le travail, bien que je vomissais le matin avant de partir et je pleurais le soir en rentrant. Sans travail, on est plus rien dans notre société. Entre la rue et le travail, c’était quitter un enfer pour un autre. Lors de mes dernières semaines dans l’entreprise, j’ai pris peur de ma soumission. A un moment, de ma fenêtre, j’ai regardé le sol et j’ai pris conscience de ma situation de détresse. Pour eux, le suicide était un taux d’erreur, la logique de la loi imposée du plus soumis. J’ai eu un élan de survie.” confie Cédric Porte.
La reconstruction fut longue et difficile. Nicolas a retrouvé du travail, Cédric pas encore mais il n’a pas perdu courage.
Travailler à tout prix ! Cedric Porte et Nicolas Chaboteaux (Editions du moment)
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