Le tribunal de commerce de Marseille devait se prononcer ce mardi 7 avril sur les deux offres de reprise ou la liquidation du journal “La Marseillaise”. Le jugement sera rendu le 15 avril. Si l’hypothèse d’une reprise semble probable, le sort du quotidien n’en demeure pas moins incertain.
Reprise ou liquidation ? L’alternative est aussi simple que cruelle pour les 208 employés du journal régional La Marseillaise, diffusé dans six départements du Sud-Est. C’est sur ces deux options que le tribunal de commerce de Marseille devait se prononcer ce 7 avril. Fin novembre 2014, le quotidien s’est déclaré en cessation de paiement et a demandé sa mise en redressement judiciaire. « La crise économique, doublée d’une crise de la presse et d’une chute brutale de la publicité, nous contraint à cette démarche pour préserver la continuité de notre titre », avait indiqué son PDG, Jean-Louis Bousquet, dans un communiqué. Le jugement sera rendu le 15 avril, mais les délibérations lors de l’audience laissent présager qu’une reprise est possible. Pour la première fois, le procureur de la République et l’administrateur de la justice ont émis un avis favorable.
Un seul repreneur reste en lice
Deux candidats ont postulé pour reprendre le journal, qui a fêté ses 70 ans d’existence légale l’année dernière – il avait été fondé par le Parti communiste dans la clandestinité en 1943. Les Editions des Fédérés, dirigées par le patron du PCF des Bouches-du-Rhône, Pierre Dharréville, d’une part, et les Nouvelles Editions Marseillaises, présidées par le journaliste et essayiste Fabrice Kehayan, aux côtés de Jean-Marc Adolphe, fondateur de la revue Mouvement, d’autre part. Mais à l’audience, seules les Editions des Fédérés étaient représentées, l’autre repreneur potentiel n’ayant pas réussi à convaincre les banques de prêter les 30 % du plan de sauvegarde non garantis par l’Etat.
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— La Marseillaise (@lamarsweb) 7 Avril 2015
« Notre avocat a estimé qu’il était inutile que nous nous rendions à l’audience car nous n’avons pas réussi à trouver la banque susceptible de s’engager, explique Jean-Marc Adolphe, associé au projet de reprise, avec amertume. La presse est devenue une maladie honteuse. Certaines banques au niveau national ont choisi de ne plus s’engager sur ce terrain-là. Même en faisant valoir que nous souhaitions développer une offre numérique et un volet événementiel, ça n’a pas suffi ». Un seul candidat est donc encore en lice pour reprendre le journal : les Fédérés, et derrière eux le PCF des Bouches-du-Rhône.
« La Marseillaise » de nouveau dans le giron communiste
« La tonalité de l’audience est claire : elle laisse présager une reprise par les Fédérés, on revient donc à l’opérateur historique de La Marseillaise », constate le délégué SNJ-CGT, Jean-Marie Dinh. De 1944 à 1967, La Marseillaise a été officiellement le quotidien régional du Parti communiste. En 1997 le journal a pris ses distances vis-à-vis de celui-ci, tout en conservant une ligne éditoriale ancrée à gauche. Les salariés sont divisés sur ce retour dans le giron du parti : « Après quatre mois de situation de crise, les relations en interne sont délétères, relate Jean-Marie Dinh. Une partie des salariés ont une confiance totale aux Fédérés, tandis qu’une autre partie d’entre eux se pose des questions sur la ligne éditoriale. Comment faire un journal de débat sur les questions sociales, économiques et politique, qui soit suffisamment ouvert pour fédérer du PS à l’extrême gauche ? »
Le plan de sauvegarde prévoit la suppression de 91 emplois
De plus, le plan de sauvegarde proposé par les Fédérés prévoit la suppression de 91 postes, et la fermeture de 10 des 15 agences de diffusion du journal. Le maillage territorial de La Marseillaise en ressortira donc endommagé, au détriment des zones rurales : “Cela implique un recentrage sur les zones urbaines, ce qui pose un problème politique alors que les dernières élections montrent que le FN cartonne dans les terres.” Ce prix à payer pour la pérennisation du titre laisse donc un sentiment ambivalent. Ce vendredi, une réunion du comité d’entreprise portera sur le mal-nommé Plan de sauvegarde de l’emploi.
Le projet de reprise échafaudé par les Nouvelles Editions marseillaises était socialement moins désastreux, puisqu’il ne prévoyait pas d’allégement de la masse salariale, mais il n’a pas réussi à gagner la confiance des banques. Jean-Marc Adolphe demeure sceptique sur la capacité du PCF à maintenir la barque à flot sur le long terme :
“D’un point de vue économique, c’est une hérésie. L’époque où le PCF pouvait tenir à bout de bras un quotidien, même régional, est révolue. Et c’est politiquement une erreur, dans une région où le FN confirme son implantation. Nous avions le projet de faire en sorte que La Marseillaise redevienne un leader d’opinion en s’appuyant sur les réseaux culturels et associatifs, pas seulement militants au sens traditionnel du terme.”
Un symbole du pluralisme de la presse
La Marseillaise est une exception en France et même en Europe, puisqu’il est le dernier quotidien régional d’opinion, avec L’Echo du Centre (quotidien à tendance communiste diffusé dans le Limousin). Cela fait de lui un symbole du pluralisme de la presse, dans une région où Le Méridional (de droite) et Le Provençal (socialiste) ont fusionné en 1997 pour donner naissance à La Provence, politiquement plus neutre.
En 2014, il avait rayonné nationalement du fait du prix Albert Londres reçu par Philippe Pujol pour sa série d’articles « Quartiers shit », sur les quartiers sensibles de Marseille. “On a une liberté de ton que d’autres quotidiens régionaux, du fait de leur fonctionnement, n’ont pas, témoigne Marjolaine Dihl, journaliste à La Marseillaise depuis quatorze ans. Ce que Philippe Pujol a fait est lié à la possibilité que l’on a de sortir des sentiers battus, davantage que La Provence pourrait se le permettre.”
Ses difficultés témoignent d’un changement d’époque : le temps où Georges Marchais arrivait en tête dans la cité phocéenne au premier tour de l’élection présidentielle de 1981 est révolu. Elles sont aussi caractéristiques des écueils éprouvés par la presse indépendante. A Marseille même, le journal satirique Le Ravi est encore en période d’observation après son dépôt de bilan en novembre 2014, tandis que le site Marsactu a été liquidé, même s’il espère renaître de ses cendres avant la fin de l’année.